telekom

Le vainqueur de la Fantavuelta 2015 remportera un magnifique maillot vintage de l’équipe Team Telekom. Plus particulièrement, celui de 1999, endossé par Jan Ullrich lorsqu’il remporta sa première et unique Vuelta. Comme toujours, le maillot de Telekom nous permet de revenir sur l'histoire des Maillots de Légende et sur le parcours de cette formation bien particulière qui joua un rôle majeur dans la relation d’amour-haine entre l’Allemagne et le sport cycliste.

Novembre 2007, la direction de la Deutsche Telekom donne une conférence de presse au cours de laquelle elle annonce que le géant des télécommunications abandonne sur le champ toute sponsorisation du sport cycliste, professionnel ou amateur, masculin et féminin. Quelques mois plus tard, les chaînes publiques allemandes ARD et ZDF annoncent à leur tour que malgré le fait qu’elles aient acquis les droits de retransmission du Tour de France jusqu’en 2011, la Grande Boucle ne sera pas diffusée sur les chaines allemandes. Le mot « Boykott » est lancé et largement utilisé dans la polémique médiatique qui s’en suivra.  Le mot « Radsport » (« Cyclisme ») devient tabou et est dénigré à la moindre occasion.

Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi tant de violence verbale et de lynchage médiatique envers un sport aussi simple et populaire ?

Premier retour en arrière, vers le début des années 2000. En se promenant sur les routes de campagne allemandes un dimanche matin, en Bavière, dans la Ruhr ou dans les régions de l’Est, un seul constat s’impose : l’Allemagne est un pays de cyclo-amateurs. Enfants, adolescents, trentenaires ou retraités, les routes sont remplies de cyclistes dotés du matériel neuf dernier cri et arborant en grande majorité un maillot rose. Non pas le maillot rose de la Gazzetta dello Sport et du Giro, mais bien le maillot rose fuchsia de la Team Telekom, la team qui a fait aimé ce sport « nouveau » à un pays entier.

En route vers la nouvelle gloire

Il faut dire qu’avant la création de la Team Telekom, l’Allemagne, et en particulier l’Allemagne de l’Ouest, ne s’intéressait pas vraiment au cyclisme. Les quelques exploits de Rudi Altig dans les années '60 et ceux de Dietrich Thurau dans les années ’70 n’avaient pas suffi à passionner les allemands pour ce sport trop éloigné de leur culture. La situation était différente en Allemagne de l’Est où tous les sports olympiques étaient bien suivis, mais le rideau de fer empêchait les coureurs de la DDR de participer aux grandes courses du monde professionnel.

Mais les choses changent au début des années ’90. La chute du Mur et la réunification allemande ouvrent les portes du monde professionnel aux sportifs de l’Est. Très vite, les coureurs cyclistes commencent à s’imposer dans les grandes courses, à commencer par Olaf Ludwig qui remporte en 1990 le maillot vert au Tour de France. C’est aussi le début des grandes libéralisations en Europe et notamment des sociétés de télécommunication qui doivent imposer leur marque sur le marché après des décennies de monopole public. Dès 1991, le colosse téléphonique Deutsche Telekom décide de sponsoriser une équipe cycliste allemande créée un an auparavant et qui avait en la personne de Udo Bolts son seul fer de lance. Les débuts sont évidemment difficiles, mais en 1992, le belge Walter Godefroot est engagé comme directeur sportif. Ce dernier amène dans ses bagages des coureurs expérimentés comme Etienne De Wilde ou les frères Madiot afin d’encadrer les jeunes coureurs allemands parmi lesquels on compte à partir d’octobre 1992, un jeune sprinter très prometteur, Erik Zabel. Le but de la formation de Godefroot est clair: former les jeunes cyclistes nationaux, en particulier ceux ayant fait leur classes d’âge en Allemagne de l’Est, et les lancer dans le monde professionnel. Rolf Aldag, Jens Heppner ou Steffen Wesemann en sont le parfait exemple. En 1994, cette stratégie commence à porter ses fruits. Le champion Olaf Ludwig est rapatrié pour entrer dans l’écurie nationale, alors qu’Erik Zabel remporte sa première classique sur Paris-Tours et le jeune Jan Ullrich fait son apparition dans le groupe pro à l’âge de 20 ans.

La formation est lancée et l’ambition grandit. En 1996, Walter Godefroot engage le troisième du Tour de l’année précédente, le danois Bjarn Riis qui apporte avec lui l’expérience du haut niveau et les connaissances « médicales » apprises lors de son passage dans l'équipe Gewiss-Ballan du fameux docteur Michele Ferrari. L’arrivée de Bjarn Riis change très rapidement les choses. Le Danois remporte le Tour de France 1996, marqué aussi par la première victoire d’Erik Zabel au classement à points et par la deuxième place de Jan Ullrich, alors âgé seulement de 23 ans.  Plus que la première victoire danoise sur les routes françaises et la fin du règne de Miguel Indurain, c’est l’éclosion de ce jeune coureur qui attira toutes les attentions. Jan Ullrich était probablement un des plus purs talents que le cyclisme des années ’90-2000 ait connu. Seul son manque de discipline lors des préparations des grands rendez-vous et son faible leadership lui ont empêché d’obtenir un palmarès plus nourri. Mais en 1997, la concurrence n’est pas à la hauteur et Ullrich remporte son unique Tour de France. Par la suite, il montera à plusieurs reprises sur le podium, à la deuxième place derrière Pantani en 1998, derrière Lance Armstrong en 2000 et 2001 et à la troisième place en 2005. 

La fin des années ’90 constitue l’âge d’or de la Team Telekom.  L’Allemagne se passionne pour ce sport grâce aux victoires de Jan Ullrich , mais aussi d’Erik Zabel qui invente un nouveau profil de coureur: le-sprinter-qui-passe-les-bosses. Le natif de Berlin Est doit s’adapter dans un monde de jet-men dominé par Mario Cippollini, Tom Steels ou Robbie McEwen, tous des sprinters à la pointe de vitesse impressionnante mais passant difficilement la montée d’une sortie de tunnel... Zabel développe une discrète résistance dans les montées et s’impose comme un des coureurs les plus complets du peloton. Entre 1997 et 2001, il remporte à quatre reprises Milan-Sanremo et établira le record de six victoires au classement du maillot vert du Tour. Record toujours détenu aujourd’hui et en point de mire de son héritier désigné Peter Sagan. La Team Telekom devient une référence dans le monde cycliste. Ses coureurs gagnent des classiques, des étapes de grand tours, des championnats du monde, des médailles olympiques. L'équipe remportera les championnats d’Allemagne sur route de manière ininterrompue entre 1992 et 2004! L’alchimie est parfaite: une équipe allemande avec des coureurs essentiellement locaux, de l’ouest et de l’est, une marque nationale puissante, un sponsor technique national (Adidas) tout aussi puissant, des victoires dans les pays à la culture cycliste ancienne comme la France, l’Italie ou l’Espagne, la découverte d’un sport bien plus passionnant qu’il en avait l’air. Le renouveau de l’Allemagne unifiée. « Deutschland über alles ». Le cyclisme devient à la mode. Les allemands le suivent, en parlent et roulent dès qu'ils en ont l'occasion. Nous sommes au début des années 2000.

Les Damnés

Mais dans le cyclisme, les choses peuvent rapidement changer. Jan Ullrich se révèle être peu fiable, fragile physiquement, inconstant et surtout, soumis psychologiquement au nouveau patron du peloton, Lance Armstrong. La mondialisation du cyclisme et l’arrivée du circuit Pro-Tour obligent d’ailleurs Walter Godefroot à abandonner sa stratégie de formation nationale pour devenir une armada multiculturelle. La tactique des deux deux flèches Ullrich et Zabel ne suffit plus et de nouveaux cyclistes sont engagés pour jouer les rôles de leaders dans les multiples courses du calendrier. Des coureurs comme Alberto Elli, Kevin Livingstone, Bobby Julich, Santiago Botero, Paolo Savoldelli, Cadel Evans, Oscar Sevilla ou Michael Rogers endosseront tour à tour, et furtivement, la tunique de la team rebaptisée T-Mobile, sans toutefois laisser des traces mémorables. Alexandre Vinokourov, Giuseppe Guerini ou Giovanni Lombardi auront plus de succès sous les couleurs rose-fuchsia, mais cela ne suffira pas pour bousculer la domination des Boys de l’US Postal d’Armstrong. La Team Telekom pourra cependant se vanter d’avoir lancé dans le circuit un grand nombre de coureurs allemands, certains encore en activité aujourd'hui, comme Jorg Jaksche, Andreas Kloden, Danilo Hondo, Paul Martens, Heinrich Haussler ou Marcus Burghardt. En 2006, les dirigeants font venir simultanément deux jeunes sprinters qui débuteront ainsi leur longue rivalité : André Greipel et Mark Cavendish. Les victoires arrivent encore, mais cela sera la dernière contribution importante de la formation Telekom au cyclisme mondial.

Car les affaires de dopage des années noires du cyclisme commencent à faire surface. Les scandales et affaires se succèdent. En 2006, Jan Ullrich est exclu du Tour avant même le départ en raison de ses liaisons avec le docteur Fuentes. En 2007, des investigations journalistiques et des révélations du masseur Jef d’Hont suivies de celles de coureurs comme Bolts, Aldag, Zabel, Sinkewitz ou Riis, rendent publiques les pratiques de dopage organisé au sein de la formation depuis les années ’90. EPO, testostérone, hormones de croissance, transfusions sanguines. La liste des produits injectés est impressionnante. La douche froide fait très mal. L'Allemagne est sous le choc. Ce nouveau sport qu'elle avait découvert et tant aimé, se révèle être un monde de tricherie, de mensonges, de cupidité et de machiavélisme. Tout le contraire des valeurs de rigueur, de droiture et d’honnêteté dominant dans le pays de Goethe. L’Allemagne se sent trahie et ne pardonnera pas d’aussitôt. Le sport cycliste est banni, boycotté par les grands médias et les sponsors se retireront petit à petit des équipes. Même le Tour d'Allemagne cycliste, réintroduit dans le circuit en 1998, est annulé et "aboli" en 2008.

La déception qui a suivi les révélations des multiples affaires de dopage a été la hauteur de l'euphorie existante lors des années de gloire. Les réactions furent probablement trop radicales, trop émotionnelles, trop naives, mais comment leur en vouloir? Finalement, la culture cycliste ne s'improvise pas. Quelques victoires, majeures certes, ne permettront jamais de remplacer des décennies d’histoire faite de haut et de bas, de victoires et de défaites, de scandales ou d’exploits légendaires. Des décennies d'histoire qu'on connait dans les pays comme la Belgique, l'Italie ou l'Espagne et qui permettent de passer à travers les périodes difficiles, en attendant des jours meilleurs.

L'Allemagne a eu du mal à digérer la déception, mais dernièrement, avec les exploits de jeunes coureurs n’ayant pas appartenu au passé comme John Degenkolb ou Marcel Kittel, le cyclisme a lentement repris sa place dans les journaux sportif d’outre-manche. La télévision publique a retransmis le Tour de France en 2015 pour la première fois depuis 2007. Les victoires germaniques sont saluées mais pas exaltées. L’histoire peut continuer.

Comments

bravo pour l'article...je devrais faire autre chose mais j'ai été aspiré dans un flash-back sur les années 80-90....merci !

et dites...c'est quand qu'on pourra enregistrer les equipes?

On y travaille, à priori ce soir ce sera possible, mais j'ai quelques problèmes techniques et je n'arrive pas à joindre mon compère webmaster en pleine préparation psycho-physique au fin fond des carpates.
Alain, répond!!!!