Après deux semaines de break, les classiques reprennent en force, avec le premier monument de la saison, Milan - San Remo. 

Soyons honnêtes, par rapport aux autres monuments, la magie fait quelque peu défaut à la Primavera: ils sont loin les bergs et le demi-million de Flamands sur la route du Ronde, loin aussi les interminables panaches de poussière de Roubaix, tout comme la verdeur et la cruauté du relief wallon sur Liège-Bastogne-Liège. Rien de comparable à Milan - San Remo, que les mauvaises langues langues résument à 270 km d’ennui avant deux bosses (Cipressa et Poggio) puis un probable sprint massif.

C’est certainement exagéré, mais d’un autre côté, il n’y a pas de fumée sans feu. L’histoire du parcours de la Primavera reflète d’ailleurs le délicat équilibre entre respect de la tradition et la nécessité de rendre la course plus spectaculaire, en la durcissant pour compliquer la vie aux sprinters.

Initialement une longue ballade côtière entre Milan et San Remo, elle fut longtemps la chasse gardée des Italiens (seulement 8 vainqueurs « étrangers » de 1907 à 1954). Mais à partir de 1954 commence un cycle de victoires de sprinters non Italiens (Van Steenberghen, Van Looy, Poblet, etc), qui incite en 1960 les organisateurs à modifier le parcours en introduisant le Poggio, pour briser l’élan des sprinters et ramener les bouquets dans la Péninsule. Le succès est mitigé: seulement 3 victoires italiennes entre 1960 et 1980. Principalement la faute aux deux monstres sacrés belges :  le Cannibale (7 victoires entre 1966 et 1976!), et le Gitan d’Eecklo (1973, 78, 79) règnent sur la classique pendant plus d’une décennie. En outre, le Poggio n’arrête plus de purs sprinters comme Raas (1977) et les résultats dictent un nouveau durcissement de la course, avec l’introduction en 1982 de la Cipressa avant le Poggio. C’est le début d’une période dorée pour Milan - San Remo, avec les victoires de tous les grands attaquants de l’époque: Moser, Fignon, Kelly, Bugno, Chiappucci, Jalabert. Il faudra une quinzaine d’années pour que les sprinters (menés par Erik Zabel, 4 fois vainqueur entre 1997 et 2001) reprennent la main.

A partir de là, les essais pour durcir la course se sont multipliés, toujours en ajoutant une montée, comme Bric Berton en 2001 (pour contrer Zabel…qui gagna cette année-là aussi) ou Le Manie en 2008 (qui s’avéra peu décisive, car trop loin de l’arrivée). Même l’intéressante Pompeiana, avec ses passages à 13% entre Cipressa et Poggio, n’a pas survécu (on ne la monte plus depuis 2014 à cause des risques d’éboulement).

Bref, depuis 2014, on est revenu au parcours traditionnel avec le seul enchaînement Cipressa-Poggio, a priori pour le plus grand plaisir des sprinters. Marc Cavendish, qu’on se savait pas aussi pointu en art moderne, avait alors dit à ce propos: « changer le parcours de Milan-San Remo, c’est comme demander à Banksy de repeindre le Panthéon à Rome ». Kristoff (2014), Degenkolb (2015) puis Démare (2016) s’étaient d’ailleurs chargés de confirmer que le balancier était bien repassé du côté des jetmen. Heureusement, l’édition 2017 a prouvé que le scénario de la fugue d’un groupe de puncheurs qui conserve une poignée de secondes sur le peloton est toujours d’actualité.

En conclusion, on est tenté de dire que c’est son imprévisibilité qui fait désormais l’attrait de la Primavera. C’est d’autant plus vrai cette année que le quatuor doré Sagan-GVA-Kwiatko-Gilbert n’a rien montré jusqu’ici sur les classiques, et que du côté des sprinters, en plus des annonces programmées du roi Kittel et de Groenewegen, l’homme en forme du moment, il faut aussi tenir en compte le forfait de Gaviria et l’état de forme inquiétant de plusieurs autres jetmen de référence. Bref, plus que jamais, ce Milan - San remo ressemble à une bouteille à encre!

En attendant, le train du Fantacycling a quitté la gare depuis 4 stations. Avec la Primavera on arrive à un premier embranchement majeur, avec déjà un vrai risque de déraillement pour certains fantamanagers, qui dès samedi soir pourraient bien se retrouver à ruminer l’adage « 200 points de retard à San Remo: commence à préparer ton Giro »…   


 Peter Sagan

Le Slovaque est tout simplement l’unique coureur du peloton qui a une chance réelle de s’imposer dans les deux scénarios plausibles : en puncheur ou au sprint. C’est ce qui lui vaut le privilège d’être notre seul favori 5 étoiles. Ses 4 « top 10 » sur les 6 dernières éditions, dont 2 deuxièmes places, plaident également en sa faveur et font penser que tôt ou tard il lèvera les bras sur la Via Roma. Et si son début de saison fut plutôt poussif, on l’a vu monter progressivement en régime à Tirreno, où il a notamment fini second de deux sprints massifs derrière l’intouchable Kittel. Il sera à 100% pour la Primavera, prêt à faire exploser la course dans la Cipressa ou à régler le peloton au sprint.  

Michal Kwiatkowski

Sa victoire de l’an dernier à San Remo, au nez et à la barbe de Sagan himself, a prouvé que le Polonais pouvait gagner partout, et contre tout le monde. Confirmer n’aura rien d’une sinécure (le dernier doublé sur la Primavera remonte à 2000-01, avec Erik Zabel), mais après des Strade décevantes, on a vu du grand Kwiatkowski à Tirreno, dont il était encore leader au soir de la dernière étape de ce mardi. Assurément le rival numéro 1 de Sagan, et un des hommes à battre ce samedi.   

 Alexander Kristoff

Kristoff, vainqueur en 2014, est LA référence en matière de régularité sur Milan - San Remo: depuis 2013, il n’y a jamais fini au-delà de la 8e place. Et il n’y a aucun doute sur la faim de victoire du Norvégien, qui reste sur deux exercices décevants, et dont la dernière victoire majeure remonte déjà au Ronde 2015. Son excellent début de saison (bouquets à Oman et Abu Dhabi) l’aura rassuré sur la qualité du train de sa nouvelle équipe UAE - Team Emirates, même s’il fut moins à son affaire à Paris-Nice. Un top 5 assuré en cas de sprint.  

 Elia Viviani

Après Groenewegen, absent ce samedi, c’est sans doute le sprinter le plus régulier de la saison, avec 4 victoires dans le désert et de nombreux accessits, y compris sur Paris-Nice. A 29 ans, l’Italien a l’air mûr pour (enfin) remporter une victoire de prestige, et avec le forfait de Gaviria, carrément à la rue depuis le début de saison, il est désormais la carte maîtresse de Patrick Lefevere pour une arrivée au sprint. Sans aucun doute le meilleur candidat italien pour renouer avec une victoire qui échappe à la Péninsule depuis 2006 (Filippo Pozzatto).

Arnaud Démare

Démare revient avec de réelles ambitions sur les lieux de son plus grand succès professionnel. Il est peut-être un poil moins rapide que les sprinters cités plus haut, mais son début de saison est en tout point remarquable, avec un top 10 sur l’Omloop et Kuurne, et surtout une victoire en costaud dans la première étape de Paris-Nice, compétition qu’il abandonnera quelques jours plus tard pour ne pas puiser dans ses réserves avant la Primavera. Le Français est à bloc, et sera un rude client ce samedi.      

 Julian Alaphilippe

On a bien l’impression qu’Alaphilippe, un des coureurs les plus spectaculaires du peloton, va nous gagner une ardennaise un de ces jours. Mais son escapade de l’an dernier avec Kwiato et Sagan lui aura à n’en pas douter donné des idées: personne ne serait surpris de lancer la grande bagarre dans la Cipressa ou le Poggio. Peut-il gagner en solitaire ou battre au sprint un autre puncheur de haut vol style Kwiato? C’est moins sûr, mais Alaphilippe n’en constitue pas moins un véritable outsider pour samedi, dans son rôle d’électron libre de l’impressionnante armada Quick Step.

Michael Matthews

Il y a du Sagan dans ce Matthews! L’Australien est lui aussi un hybride puncheur-sprinteur de première classe, a priori taillé pour s’imposer à San Remo. Systématiquement placé parmi les grands favoris ces dernières années, il n’a jamais pleinement confirmé: son meilleur classement fut une 3ème place en 2015. On lui aurait volontiers attribué 2 étoiles de plus si le doute ne planait pas encore sur sa participation après sa fracture de l’épaule lors de l’Omloop. Mais s’il court, lemanque de pression pourrait bien compenser le manque de rythme, de quoi peut-être créer la surprise. En outre, Matthews est un cow-boy qui aime les défis, surtout lorsqu'ils se font dans la douleur. Et on sait que les cow-boys cyclistes peuvent revenir de loin, comme gagner sept Tours après un cancer des testicules. A coté, gagner à San Remo après une micro-fracture de l'épaule...

Greg Van Avermaet

Si on vous avait dit qu’à cette hauteur de la saison des classiques, la meilleure perf de GVA serait une 34e place aux Strade, vous ne l’auriez pas cru. Et pourtant c’est vrai: 50e à « son » Omloop, 56e à Kuurne, largué par Kwiato, Sagan et consorts dans les 2 étapes pour puncheurs de Tirreno, GVA a des allures de très mauvais plan fantacycliste. Mais attention au lion blessé, il ne va pas mourir sans combattre, et avec 2 « top 10 » sur la Primavera à son compteur, GVA a déjà prouvé qu’il pouvait y jouer les trouble-fête.     

 Sonny Colbrelli

Huitième à l’Omloop, troisième à Kuurne: sans avoir l’air d’y toucher, Colbrelli a réalisé un magnifique début de saison, et il ne vient donc pas à Milan - San Remo pour y faire de la figuration. Il a figuré deux fois dans le « top 10 » durant les 4 dernières éditions, on aurait donc tort de sous-estimer complètement les chances du sprinter lombard, même s’il a paru peu à son affaire la semaine écoulée sur Tirreno.     

 Matej Mohoric

C’est l’invité de dernière minute de notre top 10, qui s’y glisse grâce au forfait de Gaviria ce lundi. On aurait pu la jouer safe en faisant confiance au pedigree de Degenkolb ou de Gilbert, ou bien encore citer sans trop y croire un sprinter comme Trentin ou Ewan. On préfère rendre hommage à la révélation de ce début de saison: vainqueur au GP Industria & Artigianato, placé aux Strade, le jeune Slovène (23 ans) apprécie visiblement les routes italiennes et surtout les descentes difficiles. Comme celle du Poggio où il pourrait tenter un numéro, qui sait, peut-être en compagnie de son leader Nibali.

 

Comments

Si je devais miser sur un outsider, je dirais André Greipel. Il a toujours eu du mal dans le Poggio, mais c'est probablement sa dernière chance et s'il ne se fait pas lacher, c'est pour lui... Evidemment, en ce qui concerne ma Fantateam, je préfererais un bon groupe de puncheurs composé de Sagan, GVA, Kwiatko, Alaphilippe, Lutsenko, Naesen et Colbrelli à la poursuite d'un Nibali déchainé dans la descente avec un peloton réglé au sprint par Cort Nielsen devant Christophe Laporte... Ce scenario finalement assez probable me conviendrait à merveille!!!