kelme

Parmi les équipes cyclistes de la fin du siècle dernier, la formation Kelme est sans aucun doute une des plus appréciées. Retour sur l’histoire d’une équipe légendaire, aimée du public et fournisseur officiel de spectacle dans les courses cyclistes du monde entier.

Ceux qui ont 40 ans ou plus se souviennent de l’équipe Kelme de la fin des années ‘90 et du début des années 2000. L’équipe des Escartin, Botero, Heras et Oscar Sevilla. Mais la formation espagnole avait à l’époque déjà presque 20 ans d’existence. Elle avait été créée par Rafael Carrasco sur les cendres de la dissoute Transmallorca-Flavia en 1980. L’ambition n’est pas énorme au début et avec un budget équivalent à 90.000 euros, son fondateur n’imaginait pas qu’il jetait les bases d’une épopée qui durera un quart de siècle. Pourtant, le partenariat avec l’équipementier sportif Kelme est solide et dès la première saison, le vétéran Pedro Torres termine deuxième de la Vuelta España. Ce petit exploit pour une jeune formation met les dirigeants en confiance et l’année suivante, les coureurs de Kelme remportent cinq étapes sur le Tour d’Espagne tout en prenant la troisième place du général avec Vincente Belda, celui qui sera un pilier de l’équipe en tant que coureur d’abord, puis comme directeur sportif. L’aventure est lancée pour l’équipe et le maillot rayé aux couleurs vert- bleu-blanc s’imposera petit à petit comme une réalité du peloton. D’autant plus que l’équipe mythique KAS avait cessé ses activités en 1979 et que l’Espagne cherchait un nouveau groupe capable de faire briller les coureurs ibériques sur les grandes courses internationales.

Les débuts espagnols

Pendant ses premières saisons, l’équipe Kelme est essentiellement composée de coureurs espagnols et se distingue surtout dans les courses nationales. Mais les podiums sur la Vuelta lui permettent aussi de participer au Tour en 1981 et au Giro en 1982. Si Belda remporte une étape dès sa première participation au tour d’Italie, il faudra attendre 1988 pour revoir les Kelme sur la Grande Boucle. Par contre, les hommes de Carrasco se régalent sur la Vuelta. Les victoires d’étape tombent à la pelle, avec Belda, mais aussi le rouleur José Recio ou d’autres chasseurs d’étape. Lorsque Kelme se retire du peloton en 2004, le compteur de victoires sur la Vuelta marquait 42 bouquets. Dans la première moitiée des années ’80, les succès partiels sont également nombreux dans les différentes vueltas, des Asturies à la Catalogne, en passant par l’Andalousie et le Pays Basque, mais le grand saut vers la reconnaissance internationale tarde à venir.

Le mariage colombien

Cette reconnaissance internationale se construira dans la deuxième partie des eighties, lorsque Kelme commence à développer des liens étroits avec le pays émergent du cyclisme mondial de l’époque: la Colombie. Les grimpeurs colombiens avaient créé la sensation vers la moitié de la décennie, avec l’équipe Cafe de Colombia emmenée par Lucho Herrera. Mais le vivier de talents est très large et à partir de 1986, Kelme engage quatre coureurs colombiens, en débutant ainsi une collaboration qui perdurera pendant de longues années. L’arrivée du grimpeur Fabio Parra en 1988 marque une nouvelle étape pour l’équipe. Dès sa première année sous le maillot rayé, le Colombien remporte une étape sur le Tour et termine sur la troisième marche du podium à Paris. Deux ans plus tard, le contingent colombien s’agrandit suite à la dissolution de la formation Cafe de Colombia. Des coureurs comme Hernan Buenahora, José Martin Farfan ou Oliviero Rincon viendront briller sur les étapes de montagne des grands tours lors de la première moitié des années ’90. S’en suivront quelques années plus tard José « Chepe » Gonzales, Carlos Alberto Contreras ou Santiago Botero, avec toujours les mêmes résultats : des échappées, des prix de la combativité, des victoires en montagne, des maillots de meilleur grimpeur. Farfan remporte le prix du meilleur grimpeur sur la Vuelta en 1990, prix que Chepe Gonzales remportera à deux reprises sur la Giro, alors que Santiago Botero endossera le maillot à pois au terme du Tour 2000. Quant à Hernan Buenahora, il sera élu combatif du Tour 1995 qu’il terminera en 10ème position au classement général.

De la consécration à la déchéance

Vers la fin des années ’90, Kelme est une équipe de référence dans le peloton. Elle est surtout très populaire et possède de nombreux sympathisants, puisqu’elle se distingue par ses attaques en montagne et par le panache de ses grimpeurs. Il lui manque cependant un succès de taille pour être au même niveau que les grandes écuries de l’époque comme Banesto, Telekom, Festina, Mapei ou ONCE. L’école colombienne est en outre en perte de vitesse, produisant moins de talents et ne suffisant plus à glaner des succès dans les montagnes. La formation se recentre alors sur les coureurs espagnols de la génération post-Indurain : Fernando Escartin, Roberto Heras, Laudelino Cubino, Txetxu Rubiera, Oscar Sevilla ou Aitor Gonzales seront les fers de lance de l’équipe lors des dernières années du millénaire. Escartin s’approchera du sacre sur la Vuelta et sur le Tour, mais devra se contenter de deux deuxièmes places en Espagne en 1997 et 1998 et d’une troisième place sur la Grande Boucle de 1999.

Ce sera finalement Roberto Heras qui offrira à Kelme la première victoire sur un grand tour en s’adjugeant la Vuelta en 2000. Pourtant, Heras n’était pas le principal favori au départ de la Vuelta de cette année-là, un rôle assumé par Ullrich, Zülle, Olano ou Tonkov. L’Espagnol faisait plutôt figure d’outsider après sa troisième place de l’année précédente. Mais après avoir revêtu le maillot de leader pendant une semaine, Zülle craque dès les premières réelles difficultés, alors qu’Ullrich abandonne à la mi-course. Roberto Heras prend alors le maillot de leader à Angel Casero au terme de la 13ème étape menant le peloton aux Lagos de Covadonga. Il ne le quittera plus et remporte le premier de ses quatre succès à Madrid.

La deuxième victoire à la Vuelta d’un coureur Kelme aura un goût encore plus savoureux car acquise grâce à une spécialité qui n’avait jamais réellement souri aux espagnols, le contre-la-montre. Elle sera aussi marquée par des polémiques au sein même de l’équipe Kelme entre ses différents capitaines. En 2002, le leader des Kelme au départ de la Vuelta est Oscar Sevilla, Heras étant parti à l’US Postal un an auparavant. L’Espagnol prend d’ailleurs la tête du général dès la 6ème étape. Mais lors du contre-la-montre de Cordoba, Aitor Gonzales s’impose largement et revient à deux secondes de son équipier. Lors de la montée vers l’Alto de l’Angliru, Gonzales trahira les ordres de l’écurie en attaquant son leader à la dérive pour s’en aller avec Roberto Heras. Ce dernier l'emporte pour prendra le maillot dorado sous le déluge. Lors de la dernière étape de montagne à La Covatilla, Heras sait qu’il doit augmenter son avance sur Gonzales à cause du dernier contre-la-montre de 41 kilomètres à Madrid. Il attaque très tôt en tentant de rééditer l’exploit de l’Angliru, mais Gonzales s’accroche. Sevilla et Beloki aussi. Lors d’une nouvelle accélération du leader du général, Aitor Gonzales doit lâcher prise. Oscar Sevilla lui rend la monnaie de sa pièce en abandonnant son leader pour tenter de ne pas trop perdre de temps sur Heras. Mais sur ordre des directeurs sportifs, Sevilla doit à contre cœur attendre Gonzales pour limiter la casse face à un Heras déchainé. Il le fera tout en montrant qu’il aurait pu lâcher son leader comme ce dernier l’avait fait sur l’Angliru. Aitor Gonzales pourra ainsi exploiter au maximum le contre-la-montre de la dernière étape pour s’imposer et remporter la Vuelta sans avoir jamais endossé le maillot de leader.

Ce sont les années les plus prolifiques pour Kelme. L’équipe se présente sur chaque course avec une véritable armada de grimpeurs, ce qui lui permet de remporter à plusieurs reprises le classement par équipes sur le Tour (2000 et 2001) et sur la Vuelta (1997, 2000, 2002 et 2004). Mais il s’agissait du calme qui précède la tempête…

Ironie de l’histoire, l’arrivée du jeune Alejandro Valverde dans l’équipe en 2003 coïncidera avec sa déchéance. Normal, me direz-vous, le mariage entre une équipe caractérisée par son panache et le plus grand tacticien - voir suceur de roues - des dernières années, ne pouvait que déboucher sur une catastrophe…

Mais ce sont plutôt les affaires de dopage, trop courantes à cette époque, qui entraîneront la chute de l’équipe. Le premier scandal survient au printemps 2004, lorsque l’ancien coureur Jesus Manzano dénonce dans la presse le dopage organisé au sein de l’équipe. Manzano avait été licencié pendant la Vuelta 2003 pour avoir été trouvé en charmante compagnie dans sa chambre d’hôtel. Quelques mois plus tôt, il avait abandonné le Tour suite à un malaise en pleine étape, dû, d’après ses dires, à l’injection de la part des médecins de l’équipe d’une obscure substance à base d’hémoglobine bovine… Manzano se venge alors en déballant tout à la presse, de l’EPO prescrite par le docteur Fuentes aux hormones de croissance, en passant par les techniques pour passer à travers les contrôles antidopage et les substances expérimentales utilisées dans la médecine animale. Et comme à chaque fois, le choc est énorme. L’opinion publique tombe des nues et est scandalisée. La formation n’est pas invitée au Tour 2004 et l’équipementier Kelme sent que le vent a tourné. Il se retire en tant que sponsor principal dès l’été 2004, en abandonnant les rayures vertes et bleues sur le maillot et en offrant à la Comunidad Valenciana le nom de la formation. La saison suivante, Kelme disparaît du peloton. L’équipe Comunidad Valenciana restera en place avant d’être balayée par l’Opération Puerto en 2006.

Après 25 saisons dans le peloton, l’adieu par la petite porte aura été dur à avaler. Il restera malgré tout les souvenirs de petits grimpeurs espagnols et colombiens au maillot rayé foutant un beau bordel dans un peloton déjà trop prudent et calculateur.

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