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Un des maillots à remporter régulièrement lors des épreuves de fantacycling est le maillot de l’équipe Gewiss-Ballan. L’occasion parfaite de se replonger dans l’histoire de cette équipe italienne, active de 1993 à 1997, qui sur une courte durée a laissé des traces indélébiles dans les mémoires des passionés de cyclisme. Pas vraiment pour les bonnes raisons.

La société de produits d’éclairage résidentiel Gewiss a fait deux incursions dans le peloton entre la fin des années ’80 et le début des années ’90. La première en 1987, lorsque Gewiss devient le sponsor principal de l’équipe Sammontana-Bianchi du champion du monde en titre Moreno Argentin. A part un magnifique maillot bleu ciel et la victoire d’Argentin à Liège-Bastogne-Liège et au Tour de Lombardie en 1987, la Gewiss-Bianchi n’offrira rien de particulier à l’histoire de la petite reine entre 1987 et 1989. La deuxième expérience sera par contre bien plus mémorable.

En 1993, la structure amateur Mecair décide de se lancer dans le cyclisme professionnel et engage l’ancien coureur Emanuele Bombini comme directeur sportif. Ce dernier fait appel à son ancien équipier du temps de la Gewiss-Bianchi, Moreno Argentin, pour compléter une équipe faite essentiellement de jeunes néo-pros comme Evgueni Berzin, Nicola Minali ou Vladislav Bobrik. Le choix est malin, car Argentin remporte deux étapes au Giro et endosse le maillot rose pendant quelques jours, alors que son équipier Piotr Ugrumov termine le Giro à la deuxième place derrière le Roi Miguel Indurain. Le projet de la nouvelle équipe est ambitieux et semble pouvoir fonctionner. La marque Gewiss annonce alors qu’elle sponsorisera l’équipe pour la saison 1994, en collaboration avec le deuxième sponsor Ballan. Mais un fait qui semblait anecdotique à l’époque vient déjà faire planer l’ombre du dopage organisé au sein de la formation italienne. Le coureur Alberto Volpi est en effet contrôlé positif à la gonadotropine après la Leeds Classics du mois d’août. Le coureur ne sera pas disqualifié pour vice de procédure, mais ce fait d’une importance à priori relative permet surtout à l’ancien docteur de l’équipe Walter Polini de faire des déclarations interpellantes. Polini avait été licencié en juin pour être remplacé par le docteur Michele Ferrari. En écoutant les déclarations de Polini aujourd’hui, on ne comprend pas comment le monde du cyclisme a pu tomber dans les années noires « à l’insu de son plein gré » et surtout sans aucune réaction. Le premier janvier 1994, la RAI diffuse une interview de Polini dans laquelle le médecin déclare notamment que «seul Volpi s’est fait prendre, mais au sein de l’équipe je voyais des mouvements bizarres que je n’aimais pas. Des frigos avec des substances circulaient et les dirigeants disaient clairement qu’ils ne voulaient pas savoir ce qu’ils contenaient ». Les déclarations de cet ancien coureur, équipier de Moser, devenu médecin sportif seront suivies de démentis de la part des dirigeants de la Gewiss et resteront plus ou moins sans suites. Il faut dire que la formation italienne était trop occupée à préparer la saison de tous les exploits.

Car la saison 1994 est bien la saison de tous les exploits pour la formation de Bombini. L’équipe s’est renforcée avec l’arrivée de Bjarne Riis et Giorgio Furlan. Ce dernier fait d’ailleurs un début de saison remarquable en remportant trois étapes et le classement général de Tirreno-Adriatico avant de s’imposer à Milan-Sanremo grâce à une attaque foudroyante dans le Poggio. Les classiques de printemps se poursuivront sous le signe de l’équipe Gewiss-Ballan, avec la victoire d’Evgueni Berzin à Liège-Bastogne-Liège et surtout le triplé sur la Flèche Wallonne avec Argentin, Furlan et Berzin. Le mois de mai ne sera pas très différent, avec un Giro exceptionnel où Argentin gagne la deuxième étape et endosse le maillot rose pendant deux jours avant de le céder à son équipier Berzin. Ce dernier se permettra le luxe de refiler 2’30 à Miguel Indurain lors du contre-la-montre de Follonica pour ensuite contrôler et repousser le retour du jeune Marco Pantani qui se révèlera au monde lors de ce Giro. Berzin remportera trois étapes en Italie et sera le premier russe à remporter le maillot rose, et ce, à 23 ans. Cette victoire sera aussi une sorte de passage de témoin, puisque Moreno Argentin, véritable grégario de luxe pour le russe, prendra sa retraite au terme de ce Giro 1994. Même son de cloche au mois de juillet, où la Gewiss remporte quatre étapes au Tour de France, avec Minali, Riis et deux fois avec Piotr Urgumov. Ce dernier monte d’ailleurs sur la deuxième marche du podium à Paris derrière Miguel Indurain. A la surprise générale, évidemment. La cerise sur le gâteau et la dernière surprise aura lieu en octobre, lors du Tour de Lombardie remporté par le rusé russe Vladislav Bobrik devant le malheureux Claudio « Poupou » Chiapucci.

 

Mais revenons sur cette fameuse Flèche Wallonne de 1994. Cette année-là, la Flèche se déroule après Liège-Bastogne-Liège remportée par Berzin devant un certain Lance Armstrong, tiens, tiens. Le plateau est relevé et parmi les nombreux favoris, on compte surtout les italiens Argentin, Furlan, Bugno, Chiapucci, Bartoli ou Della Santa, les néerlandais Breukink, Theunissen et Rooks, le russe Berzin, évidemment, et le français Gérard Rué, deuxième des deux dernières éditions.

La première partie du parcours se déroule sans encombres, mais la course explose lors du premier passage sur le Mur de Huy. Avec l’objectif de durcir la course, Berzin impose un rythme d’enfer dans les terribles pentes du mur. La légende raconte que dans les portions plus faciles de la montée, le Russe grimpe avec le grand plateau. Berzin emmène dans sa roue son leader désigné Moreno Argentin et l’autre Gewiss, Giorgio Furlan. En haut du mur, les trois équipiers se retournent et ne voient plus personne. Après un moment d’hésitation, Argentin décide qu’il faut tenter le coup. Ils en ont les moyens, même s’il reste environ 70 kilomètres à parcourir. Les trois hommes prennent vite 1’30 d’avance et réussissent à maintenir un écart stable jusqu’aux pieds de la dernière montée. La facilitée avec laquelle les hommes de la Gewiss résistent au retour d’un peloton d’abord, et d’un petit groupe comprenant tous les favoris italiens plus Raul Alcalà et Ronan Pensec, ensuite, est déconcertante. Au final, la victoire est offerte à Moreno Argentin qui remporte ainsi sa troisième Flèche et égalise le record d’Eddy Merckx pour sa dernière participation. Furlan prend la deuxième place devant Berzin alors que le groupe réglé par Gianni Bugno arrive avec plus d’une minute de retard.

 

Si cette course est considérée comme le moment où le peloton est entré dans l’ère EPO, ce n’est pas tellement à cause de la démonstration de force d’Argentin & Co, mais plutôt à cause de l’interview que le médecin de l’équipe Michele Ferrari donne au journal l’Equipe quelques jours plus tard. Les déclarations de ce disciple du professeur Francesco Conconi, un des pionniers dans la recherche sur le traitement sanguin dans le but d’améliorer les performances sportives, font froid dans le dos, mais sont finalement assez honnêtes et reflètent bien la mentalité de l’époque. Si le docteur nie prescrire de l’EPO à ses coureurs et parle surtout de préparation physique et alimentaire, il avoue que « la limite des soins sont les contrôles antidopage ; tout ce qui n’est pas interdit par le règlement est donc autorisé (…) ; si j’étais coureur et que je savais qu’il existait un produit non détectable et capable d’augmenter les performances, je l’utiliserai ». Il ajoute que « (...) dans le sport professionnel, il s’agit d’offrir à nos athlètes les mêmes moyens qu’ailleurs pour que la compétition soit équitable ». L’interview complète se trouve sur le lien suivant. On peut aussi y lire comme Ferrari accuse à demi-mot les équipes MG-GB et Mapei d’avoir recours aux mêmes pratiques, tout en faisant des insinuations sur Miguel Indurain et son médecin Sabino Padilla. Sans compter sa fameuse comparaison avec le jus d’orange, lorsque le journaliste lui faite remarquer que l’EPO est dangereux pour la santé : « L’EPO n’est pas dangereuse, c’est son abus qui l’est. Il est aussi dangereux de boire 10 litres de jus d’orange ». L’interview fait scandale et malgré des excuses officielles, le docteur Ferrari est licencié par les dirigeants de la Gewiss quelques jours plus tard. Il trouvera facilement d’autres clients…

Par contre, la formation italienne ne répétera pas d’autres saisons aussi exceptionnelles. Il y aura des victoires certes, comme les nombreux succès d’étapes au sprint de Nicola Minali, père de l’actuel sprinter d’Astana Ricardo Minali, ou la victoire de l’inconnu Gabriele Colombo à Sanremo en 1996, mais l’équipe ne sera plus à la pointe de la préparation physico-sanguine comme en 1994. Les autres formations prendront exemple sur la Gewiss pour avoir en fin de compte la « compétition équitable » souhaitée par le docteur Ferrari. Enfin, probablement pas si équitable que cela, mais c’est une autre histoire.

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