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Ceux qui connaissent un peu le marché des vêtements de cyclisme vintage, savent qu'un des objets le plus difficile à trouver est le cuissard couleur jeans de l'équipe Carrera. Et pour cause, rares sont les pantalons cyclistes à être entrés dans l'imaginaire collectif comme ceux portés par Roche, Chiapucci & Co. Si l'histoire de l'équipe Carrera a été marquée par ses cuissards stylés, ella a aussi vu défiler une belle brochette de champions qui ont réalisés des exploits légendaires.

L’équipe cycliste Carrera est sans aucun doute une des formations qui a le plus marqué les mémoires et l’histoire du cyclisme des trente dernières années. Le maillot blanc aux bords bleus et avec le symbole rouge de la marque de jeans Carrera sur la poitrine est associé à des grands moments de cyclisme. D'ailleurs, l’histoire de la Carrera Jeans peut se diviser en trois grandes époques, toutes liées à un grand champion.

L'époque du triplé historique

L’entreprise vestimentaire Carrera entre dans le cyclisme en 1984 comme sponsor principal de l’équipe du manager Davide Boifava précédemment appelée Inoxpran. Cette équipe avait remporté le doublé Giro-Vuelta en 1981 avec Giovanni Battaglin, père d’Enrico Battaglin récent espoir plus ou moins déçu du cyclisme transalpin.

Dans la lignée de la précédente structure, la Carrera-Inoxpran se concentre sur les grands tours, notamment le Giro où elle remporte dès sa première année des étapes avec Roberto Visentin, Giovanni Leali et Guido Bontempi. Ce dernier offrira d’ailleurs au cours des années ’80 des succès garantis à l’équipe. Son profil de sprinter moderne lui permettra de remporter 25 étapes entre Giro, Tour et Vuelta, ainsi que deux éditions de Gand-Wevelgem. On se souviendra aussi de ses duels avec Eric Vanderaerden et Jean-Paul Van Poppel dans la lutte pour le maillot vert du Tour de France.

En 1986, Roberto Visentin remporte le Giro avec le tout nouveau maillot Carrera-Vagabond, un maillot qui restera presque inchangée pendant une décennie. Mais la première année magique pour la formation italienne est l’année 1987, où un irlandais nommé Stephen Roche remporte d’abord le Giro en évinçant son propre leader Visentin, avant de se lancer à la conquête du Tour de France. Le Tour ’87 est celui du duel entre Roche (Carrera), Pedro Delgado (PDM), Charly Mottet (Système U) et Jeff Bernard (Toshiba). C’est probablement un des Tour les plus passionnants des trente dernières années. Celui qui vous fait définitivement aimer le cyclisme. Des attaques, les contre-attaques, les défaillances imprévues, des victoires, des retournements de situation, des chamboulements tragiques et des exploits héroïques comme celui de Roche sur l’arrivée de La Plagne. Une arrivée d'étape alpestre où l'Irlandais récupère près d’une minute sur le grimpeur Delgado, parti en bas du col, avant de s’effondrer après la ligne et se faire secourir avec un masque à oxygène. Stephan Roche remportera finalement ce Tour avec 40 secondes d’avance sur Pedro Delgado et 2’13 sur Jeff Bernard.

Mais ce formidable doublé ne suffit pas à l’Irlandais qui lors du championnat du monde de Villach devient le deuxième coureur de l’histoire après Eddy Merckx à réaliser le triplé Giro-Tour-Championnat du monde. Devenu une véritable star en peu de temps, Stephan Roche quittera la Carrera pour rejoindre l’équipe Fagor, mais ne sera jamais capable de rééditer les prestations de son année magique. Il reviendra terminer sa carrière chez Carrera entre 1992 et 1993.

L'époque du Diablo

Le départ de Roche permettra à un jeune italien formé dans l’ombre de ses leaders de commencer à jouer les premiers rôles. La fin des années ’80 et le début des années ’90 seront marquées par l’ascension fulgurante de celui qui deviendra rapidement l’idole des foules ou, pour emprunter un nom donné au mythique joueur de football brésilien Garrincha, « o alegria du povo », « la joie du peuple »: Claudio Chiapucci.

Celui qu’on appellera plus tard « El Diablo » pour son imprévisible panache et sa vocation inconditionnelle à l’attaque, se révèle au public en 1990 en remportant d’abord le maillot du meilleur grimpeur sur le Giro, mais surtout, en frôlant la victoire sur le Tour de France. Dès la deuxième étape de cette Grande Boucle, Chiappucci se retrouve dans une échappée-bidon qui va au bout avec 10 minutes d’avance en compagnie de Frans Maassen, Steve Bauer et Ronan Pensec. Au cours des premières étapes difficiles, ils craquent tous petit à petit. Tous sauf le leader de l’équipe Carrera qui prend le maillot jaune lors du contre-la-montre en montagne de la 12ème étape. L’étape de transition de Saint-Etienne placée après le jour de repos sera fatale au Diablo. Victime d’une défaillance, il garde son maillot jaune mais perd 5 minutes sur les principaux favoris comme Lemond, Delgado, Breuking ou Bugno. Sa légende, Chiappucci la forgera lors de la grande étape pyrénéenne, où il attaque dès la première aspérité du jour, le col d’Aspin, pour ensuite passer en tête au Col du Tourmalet. Un maillot jaune à l’attaque dans le premier col d’une des dernières étapes de montagne d’un Tour de France, on n’a plus jamais vu ça depuis très longtemps. Mais le maillot jaune se fera reprendre aux pieds de la montée finale vers Luz-Ardiden. Il tentera de contrôler ses adversaires au bluff, mais ne saura répondre à l’attaque du colombien Fabio Parra qui permettra ensuite au jeune Miguel Indurain de remporter sa deuxième et dernière étape en ligne sur un Tour de France tout en emmenant Greg Lemond vers un troisième sacre à Paris. Ce jour-là, Chiappucci gardera le maillot jaune pour 5 secondes, mais le cédera lors du contre-la-montre de l’avant-dernière étape de la Grande Boucle 1990. Il ne faut pas avoir un master en tactique cycliste pour comprendre que si ce jour-là, Chiappucci n'avait pas attaqué dès le premier col, il aurait pû controler Lemond et remporter le Tour. Ce jour-là, Chiapucci décida de ne pas gagner le Tour, mais de devenir El Diablo. 

Ce parcours inattendu placera Claudio Chiappucci dans les cœurs des passionnées de cyclisme. Surtout que les années suivantes, l’italien sera le protagoniste inconditionné de tous les grands tours, sans toutefois jamais obtenir la victoire finale tant attendue. Son côté "éternel second" le rendra attachant, autant que son panache et son absence de calcul face à des machines froides et implacables comme l’étaient ses principaux rivaux de l’époque, Lemond, Miguel Indurain ou Gianni Bugno. Chiappucci terminera deuxième du Giro en 1991 (où il collectionnera sept podiums d’étapes sans jamais monter sur la première marche) et en 1992. Troisième du Giro 1993, cinquième en 1994 et quatrième en 1995. Il sera troisième du Tour en 1991 et deuxième en 1992. Année où il marquera à nouveau l’histoire grâce à son incroyable échappée de près de 190 kilomètres où il franchit en tête cinq cols alpins de première catégorie avant de l’emporter sur ses terres, au Sestrière, avec le maillot à pois sur les épaules. Ce sera d’ailleurs une des seules fois où on a vu vaciller le trône du Roi Miguel Indurain. Mais malgré l’appui de la foule, Chiappu ne pourra jamais vaincre ses adversaires calculateurs et bien plus forts que lui au contre-la-montre. Sa seule grande victoire, il l’obtiendra à Milan-Sanremo en 1991. Une victoire inédite, puisqu'il collectionnait aussi les places d'honneur dans les courses d'un jour: Flèche Wallonne, Liège-Bastonge-Liège, Tour de Lombardie, Championnats du monde et même au Tour des Flandres, ce qui ne fit qu’accroître sa popularité face à un Indurain uniquement concentré sur les grands tours. Les années Chiappucci sont les années d’or de l’équipe Carrera qui remporte encore des victoires avec l’éternel Bontempi, mais aussi avec le sprinter Djamolidine Abdoujaparov, le chauve Massimo Ghirotto, l’italo-britannique Max Sciandri ou le danois Rolf Sorensen, vainqueur de Liège-Bastogne-Liège en 1993.

L'époque du Pirate

Si la carrière de Claudio Chiappucci s’éteindra lentement avant la mi-décennie, Davide Boifava et Giuseppe Martinelli réussiront à dénicher un nouveau talent qui permettra aux Carrera Boys de continuer à lutter pour la gagne dans les grands tours. En septembre 1992, l’équipe Carrera engage un jeune italien qui vient de remporter le BabyGiro en assommant ses adversaires dans les montagnes avec une puissance rarement vue. Ce jeune grimpeur au crâne déjà dégarni s’appelle Marco Pantani. Il se formera dans les roues de Chiapucci avant d’exploser et se révéler au public en 1994, en remportant deux étapes de montagne au Giro et en terminant sur la deuxième marche du podium final derrière Euvgueni Berzin mais devant Miguel Indurain. Dans la foulée, il terminera également troisième du Tour de France avec le maillot du meilleur jeune sur les épaules.

L’année suivante, toujours sous le maillot Carrera, celui qu’on appelle déjà le Pirate continuera de placer des accélérations foudroyantes dès que la route se lève. Mais victime d’une grave chute, il doit renoncer au Giro et se rétablit juste à temps pour participer au Tour de France où il remportera malgré tout deux étapes de montagne, dont l’Alpe d’Huez, et le classement du meilleur jeune. Son destin tragique pointera  le bout du nez dès la fin de cette saison : après une troisième place aux championnats du monde, il est renversé par un chauffard lors de Milan-Turin et est victime d’une double fracture ouverte qui lui fera sauter presque toute la saison 1996. Cette saison avec un Chiappucci en fin de carrière et sans Pantani, sera d’ailleurs celle de trop et finalement la dernière de l’équipe Carrera dans le peloton professionnel. Le sponsor se retira d’un monde cycliste qui sera bientôt éclaboussé par les scandales EPO de la fin des années ’90. Il est vrai que la plupart des coureurs cités furent par la suite impliqués dans des affaires de dopage, mais le chance du sponsor et de l’équipe Carrera sera d’avoir quitté le peloton lorsque la pratique généralisée du dopage n’était pas encore de notoriété publique. Les doutes systématiques sur les coureurs qui gagnent ou capables d’exploits exceptionnels n’existaient pas encore, ce qui a facilité l’entrée des Carrera Boys dans la légende du cyclisme.

Comments

Mazette, quel bel article ! Avec les commentaires de Bernard Thévenet en Limousin, en plus - hommage aux piticoujoux ? ;-)) Bravo et merci, Lucho. J'ai les souvenirs de jeunesse qui remontent, là, ça me prend aux tripes...