Ca y est, après quelques courses intenses en guise d’apéritif, la grande messe du cyclisme flamand aura lieu dimanche entre Anvers et Oudenaarde. Si il n’avait pas lieu un dimanche, le Tour des Flandres serait un jour férié dans le Nord de la Belgique. L’ambiance sera festive et populaire, la bière coulera à flot, les drapeaux nationalistes pollueront le paysage et 175 coureurs se disputeront le deuxième monument de la saison.

Même si le parcours a trouvé une formule stable depuis quelques années avec la double ascension du Vieux Quaremont et du Paterberg comme plat de résistance, le scénario de la course est loin d’être écrit d’avance. En attendant, voici donc cinq déroulements de course improbables, enfin, peut-être pas si improbables que ça…

Cyclocross power

Woet Van Aert et Zdenek Stybar comptent parmi les hommes forts de ce printemps. Ils le prouvent en s’envolant dans le Vieux Quaremont alors que Peter Sagan et Greg Van Avermaet  sont dans le dur et ne reviennent même pas sur les quelques survivants de l’échappée matinale. Dans le Paterberg, Mathieu Van der Poel réalise le record de l’ascension et rejoint les deux attaquants. Avec 8 titres de champion du monde de cyclocross à trois, les hommes forts de ce Ronde enchantent les supporters flamands qui voient là la fusion parfaite entre leurs deux sports préférés. L’entente entre les trois champions semble bonne, mais et pleine confiance et afin d’énerver ses jeunes compagnons, Stybar lâche un « à mon époque, vous n’auriez pas gagné une seule course de cyclocross, c’était un vrai sport d’hommes, pas comme maintenant ». Le combat de coq est lancé. Les insultent volent. Des insultent en flamand entre un pur flandrien, un Tchèque flamand d’adoption et un batave au léger accent limousin. C’est magnifique ! Finalement, les trois lascars décident de se disputer la victoire dans un champ de patates boueux à l’entrée d’Oudenarde. Lars Boom, dernier rescapé de l’échappée matinale, n’en croit pas ses yeux et passe en premier la ligne d’arrivée. Histoire de se rappeler que l’éternel espoir néerlandais a été champion du monde de cyclocross en 2008 devant une jeune promesse dénommée Zdenek Stybar…

 

Guéguerre fratricide

Une épidémie de gastro ayant décimé l’équipe Deuceuninck – Quick Step et une chute ayant mis hors course Van Avermaet, Van der Poel et Van Aert, l’édition 2019 du Ronde est plus ouverte que jamais. Après de multiples tentatives des seconds couteaux, c’est finalement un quatuor composé de Gianni Moscon, Sonny Colbrelli, Matteo Trentin et Davide Ballerini qui sort en tête du Patterberg. L’Italie savoure déjà un nouveau vainqueur du Tour des Flandres, 12 ans après le dernier succès d’Alessandro Ballan. L’enjeu est énorme car les quatre Italien savent bien qu’ils n’auront pas aussitôt une telle occasion de remporter un Monument. Ils savent aussi qu’ils se valent tous au sprint et que personne n’a envie de se faire berner par plus malin que lui. Les quatre commencent ainsi à se regarder sous la flamme rouge. Ils font presque du surplace dans la dernière ligne droite. Peter Sagan, retardé par une crevaison, revient alors comme un boulet de canon, les dépasse à double vitesse et va remporter son deuxième Ronde en mimant le geste de l’oreille, à la Luca Toni. Interrogé sur le suicide collectif des Italiens après la course, Sagan lâche son plus beau « That’s how it is… ».

 

Wolf Pack forever

Toujours prêt à surprendre ses adversaires par une tactique innovante, Patrick Lefevere lance Yves Lampaert dans l’échappée matinale. Avec plusieurs coureurs des équipes continentales belges qui veulent tous bien se faire voir par le guru national pour décrocher un contrat, les attaquants avancent à un rythme fou. Derrière, les équipes des autres leaders doivent cravacher pour garder un écart acceptable. Les lieutenants se sacrifient un après l’autre et Peter Sagan et Greg Van Avermaet doivent eux-mêmes mener  le peloton à 140 kilomètres de l’arrivée. Pendant que les autres s’épuisent, les Quick Step sont dans un fauteuil. Dans la première ascension du Vieux Quaremont, ils se mettent en tête et impriment un rythme soutenu pour tester leurs adversaires. Au sommet, ils ne sont plus que six. Six Deceuninck - Quick Step. Tous les autres sont lâchés. Commence alors un long contre-la-montre par équipe. Le Wolf Pack récupère Lampaert et s’envole au complet vers l’arrivée. Lefevere jubile. Son plus beau chef d’œuvre. Les trois triplettes sur les podiums de Paris-Roubaix, c’était de la rigolade à coté de cet exploit. Avec 10 minutes d’avance sur les premiers poursuivants, les Deuceuninck – Quick Step s’apprêtent à franchir l’arrivée en rang, comme l’équipe du maillot jaune sur les Champs Elysées. Mais les consignes sont claires, c’est Philippe Gilbert qui doit passer la ligne en premier. A quelques mètres du but, il se passe quelque chose de bizarre dans la tête d’Iljo Keisse. « Putain, une vie à travailler pour les autres, et là, je peux gagner le Ronde… ». Il tape un sprint alors que tous les autres roulaient déjà les bras levés. Tous sauf Tim Declercq qui pensait la même chose mais n’osait pas y aller. Le sprint est court mais serré, et c’est finalement Declercq qui s’impose. Pas de bol, presque aucune Fantateam n’avait misé sur les deux gregarios… Pire, les membres du Wolf Pack entament une bagarre générale en direct mondiale. Lefevere s’en fou, le chef d’œuvre tactique ne sera pas oublié. Par contre, le sponsor Deceuninck n’apprécie guère et se retire du cyclisme avec effet immédiat. Sans sponsor, sans argent et avec des coureurs qui ne peuvent plus se voir, l’équipe met les clefs sous la porte et ses stars au chômage… La dernière victoire, mais la plus belle !

 

Les mauvais plans

Après avoir durement bataillé pendant toute la course bien aidés par leurs équipiers, Michael Valgren, Gianni Moscon, Arnaud Démare et Jasper Stuyven terminent la course au-delà de la 30ème place, à 12 minutes du vainqueur… Non, on déconne, ce scénario-là est bien probable…

 

De Ongeslagenen

Après un début de course tranquille, Mathieu Van der Poel  lance les débats dans le Mur de Grammont. L'accélération du nouveau phénomène est fulgurante. Passé la chapelle, il se retourne pour constater les dégâts. Personne n'a réussi à suivre, à part Alejandro Valverde qui a vite compris quelle roue il fallait prendre. Après un regroupement, le groupe des favoris aborde le premier passage du Vieux Quaremont. Oliver Naesen fait le forcing, personne ne va avec lui … c'est alors que Valverde fait l'effort pour recoller à sa roue. L'attaque de Naesen est un feu de paille, mais dans le Paterberg qui suit, c'est Greg Avermaet qui place une mine. Le champion olympique sait qu'un bon coup peut partir maintenant. Après avoir basculé, il n'entend plus le bruit des autres coureurs. Il voit cependant une ombre dans sa roue, se retourne et voit un maillot arc-en-ciel. Rien à faire, l'échappée ne part pas. Dans le terrible Koppenberg et ses pointes à 22%, c'est Woet Van Aert qui attaque de manière puissante. Il fait le trou mais sent quelque chose qui colle à sa roue: El Imbatido. Reste le Taaienberg pour faire la différence. En honneur de son ancien équipier Tom Boonen, Zdenek Stybar sent que c’est le bon moment. Il en a gardé sous la pédale et explose le record de montée que Tommeke détient toujours sur Strava. Après le sommet, il fonce la tête dans le guidon pour capitaliser son avance, mais un "Vamos, Vamos" crié derrière lui le refroidi directement. Un groupe d'une dizaine de leaders aborde ainsi le deuxième passage du Vieux Quaremont, c'est Matteo Trentin, encore assez frais, qui attaque d'entrée et prend plusieurs mètres d'avance. Lorsqu'il arrive au sommet, il voit une roue collée à 1 millimètre de la sienne et reconnait directement les vélos Canyon de l'équipe Movistar.  Trentin se relève aussitôt. Peter Sagan s'est quant à lui amusé de voir tous ses adversaires faire des efforts inutiles pendant toute la journée. Il va attaquer dans le Patterberg et sait qu'il ne lui faut qu'un ou deux mètres au sommet pour se lancer en solitaire vers Oudenaarde. Van Aert, Van der Poel, Trentin, GVA, Stybar et Naesen hissent drapeau blanc dès que le Slovaque attaque. Sagan survole les pavés mais à l'approche du sommet, il sent comme une ombre qui plane sur lui. Une ombre qui lui suce la roue. L'ombre d'Alejandro Valverde, champion du monde, dit El Imbatido. Résigné, Sagan se relève et c'est donc un groupe élargi qui arrive sous la flamme rouge. Les visages des coureurs montrent une certaine résignation, un dégout. Certains on l'air terrorisés, d'autre épanouis, comme s'ils avaient rencontré le messie. Au final, sans se concerter, les rescapés s'arrêtent devant la ligne d'arrivée pour faire une haie d'honneur et offrir la victoire à Valverde. Comment on dit Imbatido en flamand? 

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