Voici le deuxième chapitre de notre bilan de la saison 2019 qui classe les coureurs, de manière subjective et peut-être de manière trop sévère ou trop généreuse, dans les top et les flop de l’année. Après les jeunes, poursuivons notre analyse avec les sprinters, ceux qui en fin de compte lèvent les bras plus souvent que les autres. Enfin, pas tous…

On l’avait presque oublié en écrivant ces lignes, mais Marcel Kittel était un des sprinters les plus attendus en début de saison. Attendu pour prendre une revanche sur ceux qui l’avaient critiqué, pour revenir à son meilleur niveau, retrouver son coup de pédale d’avant, lever les bras en se coiffant comme il savait si bien le faire… Mais on a attendu en vain… Pire, Marcel Kittel a décidé d’abandonner le cyclisme peu après que son contrat chez Katusha Alpecin soit rompu. Kittel est parti sans faire de bruit, presque dans l’indifférence. Quelques dépêches factuelles ont annoncé la nouvelle, mais dans la chaleur de la fin août, personne n’a vraiment voulu y mettre de l’émotion. Rarement un départ à la retraite d’un des grands noms du peloton a été aussi peu commenté. Pourtant, on parle bien là du sprinter le plus puissant de sa génération et si personne ne lui a rendu hommage, et bien nous on le fait. Car Marcel Kittel, c’est surtout une gueule. Une gueule d’allemand certes, mais une gueule quand même. Celui qui n’était pas encore le Dolph Lundgreen du peloton, explose à l’âge de 17 ans en devenant champion du monde junior du contre-la-montre en 2005 loin devant des coureurs aujourd’hui tombés aux oubliettes ou d’autres noms qui feront plus tard une belle carrière comme Boasson Hagen, Uran, Kristoff ou Stannard . Il réédite l’exploit l’année suivante et endossera ensuite une nouvelle fois le maillot arc-en-ciel du contre-la-montre en catégorie espoirs. Ce n’est que plus tard, en passant professionnel dans l’équipe Skil Shimano en 2011, qu’il découvre sa pointe de vitesse et ses talents de sprinter. Il remporte 17 victoires dès sa première année dans le circuit professionnel, dont une victoire à la Vuelta dès sa première participation. Le nouveau phénomène du sprint mondial est lancé, même si on remarque déjà une certaine tendance à ne pas finir les courses ou terminer hors délai dès que les choses se corsent. Mais Kittel est le plus puissant au sprint et engrange des succès sur tous les grands tours et sur des classiques pour grosses cuisses, comme le Scheldeprijs qu’il remportera à cinq reprises. L’année 2015 marque une première sonnette d’alarme, lorsqu’affaibli par un virus et démotivé, il termine la saison avec un seul succès et un contrat terminé prématurément avec son équipe Giant Alpecin (aujourdhui Sunweb). Il rebondit comme un lion chez Quick Step où, parfaitement entouré, il fait des merveilles comme lors du Tour 2017 où il remporte 5 étapes avec une facilité déconcertante. Mais trop couteux pour le budget toujours serré de Patrick Lefevere, Marcel quitte la formation belge pour Katusha en 2018, ce qui marquera le début de la fin. Au final, il se retire à 31 ans avec 89 victoires au palmarès. On aurait pu le classer pari les flops de l’année ou les tops de la décennie. On le laissera au-dessus du lot, über alles. Bon vent Marcel !

 

Le TOP

Caleb Ewan

On peut longtemps gloser sur l’identité du meilleur sprinter de la saison 2019, mais les chiffres parlent d’eux-mêmes : avec 5 victoires sur les grands tours (2 au Giro et 3 au Tour), la bombe miniature de Lotto-Soudal relègue très loin les autres prétendants à ce titre honorifique, que sont Groenewegen, Jakobsen, Ackermann, Bennett (tous 2 victoires) ou Viviani (1 seule). De plus, sa régularité fut tout simplement affolante: 6 top-5 sur les 11 étapes qu’il a courues au Giro ; 6 top-3 dans les sprints au Tour. Bref, l’homme ne gagne peut-être pas tout le temps, mais il ne rate jamais un sprint; de quoi en faire un des tout bons plans de la saison fantacycliste écoulée. A seulement 25 ans, Ewan a de façon évidente franchi un palier en 2019. The sky is the limit pour le jeune Australien, qu’on adorerait voir se mouiller un peu plus sur les classiques la saison prochaine. A part sur les pavés flandriens, où son petit gabarit limite sans doute ses ambitions, il a de quoi faire parler la poudre sur à peu près tous les terrains.     

Pascal Ackerman

L'ancien pistard allemand a été l'un des grands bonhommes de la saison sur les arrivées promises aux grosses cuisses du peloton. Premier teuton à s'adjuger le maillot cyclamen, et au-delà de ses deux victoires d'étape sur le dernier Tour d'Italie, Ackerman a brillé sur pas mal de fronts cette année. Avec une bonne douzaine de victoires à son actif et de nombreuses places d'honneur, il est l'un des sprinters les plus prolifiques de 2019. Passé de peu à côté du titre de champion d'Europe, celui qui possède déjà une rue qui porte son nom aura tout loisir de prendre encore plus d'envergure en 2020. Car avec le départ de Sam Bennet chez Quick-Step, le sprinter de la Bora aura les coudées on ne peut plus plus franches et l'occasion de démontrer encore un peu plus l'étendue de ses explosives qualités.

Sam Bennett

Avec la concurrence interne de Sagan et Ackermann, Sam Bennett n’avait pas d’innombrables possibilités de confirmer sa bonne saison 2018. Mais l’Irlandais a saisi toutes les occasions pour prouver qu’il est un des hommes le plus rapides du peloton. Au final, ce sont 12 victoires d’étape sur l’année et pas des moindres : San Juan, UAE Tour, Paris-Nice, Tour de Turquie, Dauphinée, BinckBank Tour, Vuelta, bref, Sam Bennett a presque gagné à chaque fois qu’il s’est aligné sur course. Cerise sur le gâteau, un beau contrat avec Deceuninck Quick Step pour la saison prochaine, avec peut-être quelques classiques au programme, ce qui pourrait carrément l’envoyer dans une autre dimension.

Dylan Groenewegen

Cela peut sembler surprenant, mais Dylan Groenewegen est bien le coureur avec le plus grand nombre de victoires en 2019. Le sprinter de la Jumbo Visma termine la saison avec 15 bouquets et obtient pour la première fois ce titre virtuel mais significatif. Pourtant, on a beau chercher, on a du mal à se souvenir des 15 victoires du bull-dog néerlandais. Normal, elles ont essentiellement eu lieu sur des courses mineures comme les 4 jours de Dunkerque (3 succès), le ZLM Tour (2 succès) ou le Tour of Britain (3 succès). Alors qu’il est surement le sprinter actuel le plus puissant, Groenewegen n’a pas fait le cannibale, loin de là. Au Tour, il s’est contenté de deux victoires comme en 2018, et comme l’année dernière, il n’a pas participé aux classiques pour les grosses cuisses comme Frankfort, Londres ou Hambourg, voire San Remo. Ses fans (pas certains qu’il en ait beaucoup) et ses fantamanagers (ils ont été nombreux), auront donc eu un léger goût de trop peu, même si à 26 ans, il a encore le temps de progresser.

Elia Viviani

Après une saison 2018 exceptionnelle, ce n’était pas facile pour Elia Viviani de se confirmer au top niveau. Et si on pense à sa campagne de printemps décevante, à son Giro raté et à sa seule victoire sur le Tour, on aurait tendance à le classer parmi les déceptions de l’année. Pourtant, Viviani termine 2019 avec 11 victoires, dont quelques succès de poids, comme la London Classic ou la EuroEyes Classics d’Hambourg. Il obtient surtout son premier titre de champion d’Europe à Alkmaar au terme d’une course passionnante et courue avec panache. A 30 ans, Viviani entrevoit peut-être le début de la fin et a décidé de quitter la Deceuninck Quick Step pour rejoindre Cofidis. Il restera en World Tour, mais la pression y sera sans doute moindre, ce qui lui permettra aussi de se concentrer sur les JO de Tokyo où il participera aux épreuves sur piste.

Alvaro Jakobsen

Alvaro Hodeg et Fabio Jakobsen ont poursuivi leur apprentissage au sein de l’armada Deuceuninck Quick Step de la meilleure manière. Patrick Lefevere leur avait concocté un programme ciblé, pas trop chargé mais malgré tout relativement ambitieux et les deux jeunes sprinters ont systématiquement répondu présent. Par souci d’équité et afin d’éviter toute jalousie, ils ont tous les deux levé les bras à sept reprises en contribuant activement à gonfler le butin de la formation belge. Bref, un couple harmonieux.

Giacomo Nizzolo

On prend un malin plaisir à encore classer Giacomo Nizzolo parmi les tops de l’année, même si l’italien n’est plus que l’ombre du sprinter qui lors des Mondiaux de Qatar en 2016 était le leader d’une équipe transalpine avec Viviani et Trentin à son service. Mais si la formation Dimension Data n’a pas complètement sombré, c’est surtout grâce à Nizzolo qui lui offre 3 des 7 succès de l’année. Une victoire au Tour d’Oman, une à Burgos et une au Tour de Slovaquie, ce n’est rien d’exceptionnel hein, mais lui au moins, il a fait sa part de boulot.

Niccolo Bonifazio

Et bien oui, des fois, passer d’une équipe World Tour à une équipe professionnelle, ça peut valoir le coup, surtout statistiquement parlant. Sept victoires en 2019 pour Bonifazio, c’est bien plus que Valverde, Pinot ou Sagan… Après, personne n’est obligé d’aller fouiller pour voir que Bonifazio a gagné 4 fois à la Tropicale Amissa Bongo, le Omloop Mandel-Leie-Schelde Meulebeke et le GP Jef Scherense… En même temps, ça l’a mis en confiance et avec les bonnes prestations dans les sprints au Tour, il a contribué à la victoire de la Total Direct Energie au classement UCI des équipes professionnelles, ce qui lui permettra de se faire inviter aux trois grands tours en 2020.

 

Le FLOP

Fernando Gaviria

Butin famélique que celui du sprinter colombien cette saison, avec à peine une victoire significative (la 3e étape du Giro) à se mettre sous la dent : une déception immense, surtout après avoir laissé entrevoir en 2018 qu’il pouvait tout simplement devenir le roi des jetmen. La malchance s’est un peu acharnée sur lui en 2019, dans le sens où sa blessure au genou gauche, après un excellent début de Giro et plusieurs succès dans les tours hivernaux, semble avoir conditionné tout le reste de sa saison : forcé à faire l’impasse sur le Tour, il s’est rendu ridicule sur une Vuelta pour laquelle il n’était visiblement pas assez bien préparé.  Ce flop est donc décerné au Colombien avec le bénéfice du doute : sa jeunesse (il a 25 ans), son talent indéniable, l’ambition de son équipe UAE et sa collaboration continue avec un des meilleurs poissons-pilotes du peloton (Maxi Richeze, qui l’avait aidé à exploser chez Quick-Step) font qu’on se refuse encore à tracer une croix définitive sur Fernando Gaviria.

Jakub Marezcko

Le grand saut vers une équipe World Tour avait bien commencé pour l’italo-polonais de la Team CCC, avec une troisième place lors de sa première course au Tour Down Under. Mais ce résultat restera le meilleur d’une saison où Marezcko a montré plus de limites que des bonnes performances. Son hors délai lors de la 12ème étape du Giro est représentatif d’une difficulté chronique à savoir se faire mal, mais on ouvait s’attendre à de meilleurs résultats que des simples placettes dans les sprints "faciles" des courses mineures.

Nacer Bouhanni

Si ce n'est une deuxième place au Grand Prix Marcel Kint, une quatrième sur les trois jours de Bruges-La Panne et deux placettes sur le Tour d'Oman et à la Volta Valenciana, le vosgien a tout bonnement été transparent en 2019. Miné par les blessures et un conflit irréversible avec Cédric Vasseur, manager de son équipe Cofidis, Nacer Bouhanni n'est plus que l'ombre de celui à qui on prédisait un jour une victoire sur une grande classique telle Milan-San Remo. Fervent admirateur de Mohamed Ali, son crochet manque, aujourd'hui, cruellement de punch et la hargne dont il pouvait se targuer depuis ses débuts chez les pros n'est désormais plus qu'un lointain souvenir. Le coureur français le mieux payé du peloton aura tout loisir de nous prouver le contraire en 2020 chez Arkéa-Samsic et nous démontrer qu'il ne s'est définitivement pas perdu en chemin.

Arnaud Démare

Habitué des podiums, la saison du natif de Beauvais fut très moyenne en 2019. Idéalement bien parti avec une première victoire sur le Tour d'Italie, il ne réussira néanmoins pas à conserver une tunique cyclamen qui lui tendait pourtant les bras. Ce succès sera, en fait, le moment fort d'une année on ne peut plus décevante où il n'a levé les bras qu'à quatre autres petites reprises. On peut évidemment retenir sa large domination sur la Route d'Occitanie voire son bon Tour de Slovaquie mais cela parait tout de même fort maigre pour un coureur qui, à 28 ans, rentre assurément dans ses meilleures années. Espérons pour Nono qu'il retrouve un jour ses jambes de 2016 qui lui avaient permis de s'imposer sur la Via Roma et qu'il puisse à nouveau s'aligner sur son Tour de France qu'il a malheureusement du regarder, cette année, depuis son canapé.

Phil Bauhaus

Avec deux victoires pour sa première saison chez Bahrein Merida, Phil Bauhaus pourrait être relativement satisfait de son année. On peut se réjouir qu'il ait renoué avec le succès, mais est-ce que l’Allemand peut encore être classé parmi les jet-men du peloton.? Alors qu’il était un des sprinters attitrés de son équipe, il ne lui a offert que très peu de résultats. Inconstant et trop souvent incapable de se mêler à l’emballage final, Phil Bauhaus devra peut-être se renouveler afin de trouver un rôle qui lui convient mieux, s’il ne veut pas rester un éternel sprinter de seconde zone. A 25 ans, il a le temps.

Sasha Modolo

Il fut un temps où Sasha Modolo gagnait des semi-classiques, des courses World Tour et des sprints au Giro. Mais ce temps est révolu et l’Italien a passé une saison anonyme sans jamais s’approcher d’un succès qui aurait pu sauver son année. Premier saison blanche depuis 2010 donc, année où un jeune néo-professionnel s’était présenté au grand public en terminant 4ème de Milan-Sanremo derrière des monstres sacrés comme Freire, Boonen et Petacchi.