SuperMario

La formation Saeco est une des dernières grandes équipes italiennes de haut niveau. Elle a traversé avec grande classe la fin des années ’90 et le début des années 2000 grâce à ses rois, ses princes, ses faucons et son train rouge.

Comme beaucoup d’autres formations professionnelles, l’équipe Saeco n’est pas née du jour au lendemain, mais est l’aboutissement d’une longue évolution, commencée en 1989 lorsque l’association sportive de San Marin, AS Juvenes San Marino créé une équipe professionnelle en collaboration avec le sponsor Verynet. Celui-ci sera remplacé l’année suivante et jusqu’en 1992 par les glaces GIS, déjà sponsor historique de l’équipe de Francesco Moser dans les années ’80. En 1993, ce sont les magasins Mercatone Uno qui font leur première apparition dans le monde cycliste, avant de revenir quelques années plus tard avec une nouvelle équipe construite autour de Marco Pantani. Le fabricant de machines de café Saeco arrive comme deuxième sponsor en 1994 et prendra définitivement le rôle de sponsor principal en 1996 en instaurant petit à petit son maillot rouge légendaire. Au début des années ’90, la formation est essentiellement composée de coureurs italiens et se concentre sur les courses de la péninsule, en particulier le Giro. Mais en 1994, l’arrivée du sprinter Mario Cipollini changera radicalement la destinée de la formation.

Le Roi Lion

En provenance de l’équipe MG-GB et âgé de 27 ans, Cipollini avait déjà un beau palmarès au compteur, avec des victoires sur le Giro et le Tour et dans les classiques du Nord comme Gand-Wevelgem, le GP de l’E3 ou le Scheldeprijs. Mais chez Saeco, il prendra une autre dimension qui le rendra un des coureurs les plus charismatiques et « bankable » de l’histoire du cyclisme. Dès son arrivée, l’équipe est construite autour de lui afin de remporter un maximum de sprints, surtout dans les grands tours. Cipo est un sprinter puissant qui adore être parfaitement lancé dans les longues lignes droites finales. Les dirigeants de l’équipe lui construisent alors un train de première classe afin de ne rien laisser au hasard et rentabiliser au maximum les qualités de son homme de pointe. La Saeco n’a pas inventé le concept du train pour lancer les sprinters, la Faema de Rik Van Looy dans les années ‘50 et ’60 ou la T.I. Raleigh au service de Jan Raas entre les années ’70 er ’80 avaient déjà mis en place cette stratégie pour aborder les derniers kilomètres, mais la Saeco perfectionna le concept afin d’en faire une machine parfaite. Six ou sept coureurs de l’équipe prenaient la tête du peloton dans les derniers kilomètres en imprimant un rythme infernal empêchant toute attaque, avant de lancer le sprinter dans la dernière ligne droite. Une machine collective au service d’un leader, pour la victoire de l’équipe. Giuseppe Calcaterra, Biagio Conte, Pavel Padrnos, Eros Poli ou Mario Scirea faisaient partie du train rouge de Mario Cipollini. Silvio Martinello d’abord, Salvatore Commesso et Gian Matteo Fagnini ensuite, étaient les derniers hommes du train, ceux censés déposer le leader le plus près possible de la ligne d’arrivée afin qu’il puisse finaliser le travail. L’équipe révolutionna le sprint mondial à cette époque, et si aujourd’hui on voit les teams de sprinters former des trains dans les derniers kilomètres afin d’essayer de prendre la tête du peloton, c’est en grande partie grâce aux enseignements de la formation de Claudo Corti.

Le train rouge permit à Mario Cipollini de dominer le sprint mondial comme rarement quelqu’un l'avait fait avant lui. En huit saisons chez Saeco (1994-2001), il remporta 95 succès, dont 24 étapes au Giro et 11 au Tour de France. Il détient encore aujourd’hui le record de victoires d’étape au tour d’Italie, avec 42 bouquets, et occupe la deuxième place au classement du nombre de victoires d’étapes tous tours confondus, derrière un certain Eddy Merckx.

Mais Mario Cipollini n’était pas simplement un formidable sprinter. Il était une star mondiale. Beau-gosse, latin-lover, grande-gueule mais toujours courtois, excentrique à souhait, il imposa son personnage bien au-delà du monde cycliste. Grâce à sa crinière blonde et bouclée, il devint Le Roi Lion. Grâce à ses victoires et sa domination,  il devint le premier d’une longue liste de Super Mario. Grâce à son charme et sa prestance, il devint Il Magnifico. Il fut le premier coureur à porter des tenues non conformes, comme sa combinaison montrant les muscles humains lors du prologue du Giro 2001, son cuissard « stars & stripes » au Tour 1997 ou son look 100% jaune, vélo compris, arboré après avoir pris la tête du classement général dans la même Grande Boucle de 1997. Des tenues qui lui ont couté quelques amendes, mais qui ont permis de rapporter bien plus en termes de visibilité médiatique et qui sont aujourd’hui devenues des pratiques normalisées. En fait, Cipollini créait le buzz avant même que ce terme n’existe dans le langage courant. Son style, son charisme, sa manière de révolutionner le sprint, son Cannondale CAAD3 couleur rouge Ferrari, un ensemble parfait pour entrer dans la légende.

Il convient ici de faire une parenthèse pour aborder aussi l’histoire des fabricants de vélo, car si l’équipe Saeco a marqué les esprits grâce aux victoires du Roi Lion, elle a aussi permis l’arrivée dans le monde du cyclisme de la marque Cannondale, devenue aujourd’hui une référence. A l’époque, les équipes professionnelles roulaient essentiellement sur des vélos italiens (Bianchi, Colnago, Wilier, Fausto Coppi, Francesco Moser, Pinarello, Gios Torino) ou français (Look, Peugeot, Vitus, MBK, Gitane), et dans une moindre mesure belge (Eddy Merckx) ou néerlandais (Gazelle, Concorde). Mais la fabrication de cycles traversait une période d’innovation très importante et des nouveaux acteurs souhaitaient bousculer l’ordre établi. Cannondale avait été créée aux Etats Unis dans les années ’70 et avait été précurseur dans le développement de cadres en aluminium appliqués dans un premier temps au mountain bike en plein essor. Mais avec le développement du vélo de course CAAD (Cannondale Advanced Aluminium Design), la marque américaine voulait franchir un pas supplémentaire et s’installer dans la cour des grands. Et rien de plus logique que de s’associer avec l’équipe du coureur au plus gros potentiel marketing du peloton, la Saeco de Mario Cipollini. Le CAAD3, puis le CAAD4, deviendront des vélos légendaires, souvent cités parmi les modèles ayant marqué l’histoire des cycles, par leur aspect innovant, mais aussi grâce à la visibilité qu’ils ont acquis à leur époque. Cipollini, Saeco et Cannondale, c’était le mariage parfait pour des victoires sur tous les terrains. Ce n’est pas un hasard si en 2002, lorsque Super Mario décide de quitter la Saeco pour rejoindre l’équipe Acqua e Sapone, une autre marque américaine, Specialized, tout aussi ambitieuse, répliquera l’expérience de Cannondale pour financer la nouvelle équipe du Roi Lion et faire ses premiers pas dans le peloton professionnel.

Mais la carrière de Mario Cipollini ne fut pas uniquement marquée de victoires et louanges. Son succès faisait des jaloux. Son franc parler irritait les plus susceptibles. Son coté « vini, vidi, vici » quelques fois accompagné de réels déguisements de légionnaire romain, passait mal, surtout en France. Il est vrai que Cipo n’avait pas l’habitude de terminer les tours de trois semaines et avait tendance à abandonner dès l’arrivée de la haute montagne (sur 27 participations à des grands tours, il n’ira au bout que 6 fois), ce que les organisateurs du Tour de France considéraient comme un manque de respect envers « la plus grande course du monde ». A partir de la saison 2000, l’équipe Saeco et Cipollini ne furent plus invités à la Grande Boucle, alors que le Roi Lion venait d’établir le record de 4 victoires d’affilé en 1999… Un choix qui serait incompréhensible aujourd’hui et qui fut un coup dur à l’honneur du Magnifico. Il décida alors de quitter Saeco à la fin de la saison 2001, âgé de 34 ans, et alors que la fin de carrière semblait pointer son nez, il sera le protagoniste absolu de la saison 2002. Mais cela est une autre histoire.

Les princes et faucons

L’histoire de la formation Saeco ne se résume cependant pas à Mario Cipilloni. Loin de là. Avec son armada de coureurs italiens, elle remporta un nombre incalculable de succès, surtout dans les courses de la péninsule. Eddy Mazzoleni, Mirco Celestino, Francesco Casagrande, Roberto Petito ou Massimiliano Lelli, étaient des animateurs réguliers des courses dans la deuxième moitié des années ’90, mais ce sont surtout les grimpeurs comme Ivan Gotti, Gigi Simoni ou Paolo Savoldelli qui offrirent des succès prestigieux à l’équipe.

Contrairement à aujourd’hui, le Giro était à l’époque chasse gardée des équipes et coureurs italiens. En 1997, Ivan Gotti remporte la course dès sa première saison chez Saeco. Le grimpeur italien n’y restera que deux ans et fut remplacé dès 1998 par Paolo Savoldelli. Le coureur originaire de la province de Bergame n’était pas vraiment un grimpeur, mais il était sans aucun doute le meilleur descendeur de sa génération, d’où le surnom du Faucon. Des capacités qui lui permirent de remporter plusieurs étapes du Giro ou du Tour, des courses d’une semaine comme le Tour du Trentin en 1998 et 1999 ou le Tour de Romandie en 2000 et de terminer deuxième du Giro en 1999. Après le départ de Savoldelli en 2001, la Saeco misa sur Gilberto Simoni pour gagner le Giro ou le Tour. Après une victoire d’étape suivie d’une disqualification pour dopage à la cocaïne au Giro 2002, il revient en 2003 pour dominer la course avec trois victoires d’étape, le classement général et le classement à points.

L’année suivante, le bis semble à portée de main, mais Simoni sera détrôné au sein de sa propre formation par un jeune à la progression fulgurante : Damiano Cunego. Arrivé comme néo-professionnel au sein de l’équipe en 2002, Cunego n’a que 22 ans et ne compte qu’une victoire au Tour du Qinghai Lake au compteur en ce printemps 2004. Il démarre cependant la saison en trombe, avec des victoires au Tour du Trentin, au GP Industria & Artigianato et au Giro del Appenino, et s’annonce comme un des jeunes à suivre au Giro, malgré un rôle de soutien au leader Gibo Simoni. Si sa victoire dans un sprint réduit lors de la deuxième étape, ne change pas la donne dans un premier temps, les hiérarchies vont lentement basculer après la victoire de Cunego dans la 7ème étape et surtout, au terme de la 16ème étape lorsqu’il ira chercher le maillot rose en solitaire à Falzès. Deux jours plus tard à Bormio, il remportera son quatrième succès sans permettre à son ancien leader de sauver l’honneur.

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Dominateur du Giro à 22 ans, Damiano Cunego devient la nouvelle attraction du cyclisme mondial. Un statut qu’il renforce après avoir remporté le Tour de Lombardie et finir la saison à la première place du classement UCI. Mais celui qu’on nomme déjà Le Petit Prince, ne rééditera jamais son incroyable saison 2004. Une saison qui sera d’ailleurs la dernière de l’équipe Saeco dans le peloton professionnel, puisque les dirigeants de l’équipe décident de fusionner avec l’équipe Lampre dans le cadre de la réforme du cyclisme menant au système ProTour. Saeco se retirera après 10 ans de loyaux services, des milliers de machines à café vendues, des centaines de victoires avec ses Rois, Faucons et Petit Prince.

 

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