mototola

Un des maillots à gagner au concours du Fantagiro 2022, est une tunique de l’équipe Motorola. Une équipe mythique de la première moitié des années ’90 qui aura marqué l’histoire, pour le meilleur et pour le pire.

Pour le commun des mortels âgé de plus de 40 ans, l’association Motorola-Années ’90 fait directement penser aux premiers téléphones portables. Ceux avec un clapet, une antenne et qui pesaient un kilo. Mais pour les passionnés de vélo, cette association rappelle l’équipe Motorola, celle au maillot bleu et rouge, protagoniste d’évènements qu’on peut difficilement oublier.

Motorola fait son apparition dans le peloton au début de la saison 1991 en remplaçant Seven-Eleven comme sponsor principal de l’équipe américaine dirigée par Jim Ochowicz. Cette formation s’était hissée au sommet mondial en quelques années, en devenant la première équipe américaine à prendre le départ des grands tours et surtout, en remportant le Giro 1988 avec Andy Hampsten. Après la faillite du groupe englobant la chaine de magasins Seven-Eleven et le rachat par un groupe japonais, la collaboration avec Motorola devait permettre à l’équipe de poursuivre sur sa lancée afin de s’installer dans la cour de grands d’un cyclisme devenu soudainement populaire aux Etats-Unis grâce aux exploit des boys d’Ochowicz et surtout grâce aux maillots jaune de Greg Lemond. Visionnaires, les dirigeants de l’entreprise de télécommunication Motorola savent que leur expérience dans la production de Talkie-Walkie et le développement des premiers prototypes de téléphones sans fil vont leur permettre d’être un acteur majeur de la révolution qui se prépare, celle de la téléphonie mobile. Un bon sponsoring qui fait connaître la marque grâce à un sport populaire était un premier pas logique vers la conquête du monde.

En attendant, il fallait gagner des courses et être présent sur tous les terrains, pas uniquement ceux du Giro et du Tour de France. La collaboration avec les cycles Eddy Merckx était une belle trouvaille commerciale, mais encore fallait-il que la mayonnaise prenne et que les bouquets arrivent. L’équipe Motorola de 1991 ressemble évidemment à la dernière version de la team Seven-Eleven, avec ses coureurs anglophones comme les américains Andy Hampsten et Frankie Andreu, le britannique, Sean Yates, le canadien Steve Bauer ou l’italo-anglais Max Sciandri. Ochowicz engage également l’Australien Phil Anderson pour avoir plus de poids dans les classiques. Mais malgré quelques places d’honneurs, les victoires sont rares et Hampsten est déjà sur la pente descendante. A part une étape au Tour 1992 et la victoire au Tour de Romandie la même année, il n’offrira plus de grandes émotions à ses nombreux supporters.

La formation se cherche donc un nouveau leader et le trouvera avec l’arrivée d’un jeune stagiaire en août 1992: Lance Armstrong. Après avoir découvert les courses chez les professionnels, il débute l’année 1993 en s’imposant d’emblée au Trofeo Laigueglia. Après un bon printemps, il devient champion des Etats-Unis avant de prendre le départ de son premier Tour de France où il remportera une étape à l’âge de 20 ans seulement sous son maillot stars-and-stripes. Mieux, quelques mois plus tard à Oslo, il devient champion du monde à la surprise générale en s’imposant devant des cadors comme Miguel Indurain, Olaf Ludwig, Johan Museeuw, Maurizio Fondriest et Andrei Tchmil.

Armstrong subira en quelque sorte la « malédiction du maillot arc-en-ciel » en 1994, mais cette année de transition permettra de renouveler l’équipe, avec l’arrivée d’Axel Merckx, ainsi que de coureurs américains qui formeront la garde rapprochée du Texan dans sa seconde carrière comme Georges Hincapie, Bobby Julich ou Kevin Livingstone. Dans un autre registre, l’équipe engage aussi le champion olympique de Barcelone 1992, l’italien Fabio Casartelli. Passé chez les pros après son titre olympique, il avait obtenu des résultats très prometteurs et s’annonçait comme le prochain puncheur italien qui pouvait s’illustrer dans les courses vallonnées, un profil de coureur très en vogue à l’époque. Mais le destin en a voulu autrement et l’équipe Motorola sera à jamais liée au drame qui frappa le jeune champion lors du Tour de France 1995.

Cette Grande Boucle avait commencé en sourdine pour les hommes de la Motorola. Le leader pour le classement général, Alvaro Mejia, avait perdu beaucoup de temps dans les Alpes et n’allait pas répéter son exploit de 1993, lorsqu’il termina aux pieds du podium à Paris. Pire, Lance Armstrong avait subi une énorme déception, voir humiliation à Revel, en se faisant battre dans un sprint à deux par l’Ukrainien Serhy Ushakov. Mais deux jours plus tard, ce fut le drame. Dans la descente du Col du Portet d’Aspet, 34 kilomètres seulement après le départ de l’étape, plusieurs coureurs ratent un virage en terminent au sol. Les parapets en béton séparant la route du ravin seront fatals à Fabio Casartelli qui, dépourvu de casque, frappera violemment la tête et perdra la vie quelques heures plus tard à l’hôpital de Tarbes. Le choc et l’émotion furent énormes. L’annonce du drame en direct télévisée, sa position fœtale dans une flaque de sang sur la route du Portet d’Aspet, les larmes du commentateur de la RAI incapable de retenir sa tristesse, les images de sa victoire aux JO tournant en boucle, son enfant âgé de 3 mois... Le dernier décès d’un coureur sur le Tour datait de la mort de Tom Simpson sur les pentes du Mont Ventoux en 1967. Mais 30 ans après, la médiatisation du Tour avait été décuplée et l’onde émotionnelle qui suivit le décès de Casartelli reste inégalée à ce jour. Ce fut d’ailleurs après ce drame que le port du casque devient obligatoire chez les professionnels. Pourtant, ce jour-là, Richard Virenque fêtait sa victoire d’étape tout sourire, vêtu du maillot à pois, sous les vivats des supporters qui, comme les organisateurs, appliquèrent trop vite et trop à la lettre le fameux slogan « show must go on ».

Pour se rattraper ou tout simplement par respect, l’étape suivante fut neutralisée et le peloton parcourut les routes entre Tarbes et Pau en silence, laissant les équipiers de Casartelli franchir la ligne d’arrivée ensemble, avec quelques mètres d’avance sur le peloton, pour un dernier hommage à leur collègue et ami. Un hommage qui ne suffisait pas à quelqu’un d’ambitieux comme Lance Armstrong. Deux jours plus tard, lors de la 18ème étape menant à Limoges, l’Américain se glissait dans la bonne échappée et plaçait une attaque fulgurante dans la dernière bosse pour s’envoler vers la victoire. Maitrisant un langage mystico-religieux qu’il utilisera après sa guérison du cancer des testicules, il déclarera « aujourd’hui j’étais comme possédé, Fabio pédalait avec moi ». Pointant les doigts au ciel en hommage à son équipier disparu, Lance Armstrong vécu, sans encore le savoir, un des rares - peut-être le seul - moments de sa carrière où il fit l’unanimité auprès des commentateurs et du public.

Motorola et Lance Armstrong allaient encore remporter de belles courses, comme la Clasica San Sebastian en 1995 ou la Flèche Wallonne en 1996. Un des héritages principaux de l’équipe fut aussi l’introduction des oreillettes pendant les courses, une spécialité technologique maison qui fut testée pendant les années Motorola et adoptée par toutes les équipes par la suite. Quant à Jim Ochowicz, il s’éloigna du peloton professionnel après l’arrêt du sponsoring de Motorola en 1996 et prit ensuite la direction de l’équipe nationale US avant de revenir avec le projet de l’équipe BMC en 2007. La formation Motorola sera cependant à jamais associée aux évènements qui se déroulèrent entre le 18 et 21 juillet 1995, ce drame en trois actes qui restera gravé dans les mémoires.

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