crique

L'équipe Hitachi et son maillot orange sentent bon les années '80. Un maillot fortement associé au regretté Claudy Criquielion qui le fit briller sur les routes du monde entier et surtout sur les routes de sa Wallonie natale. 

La marque Hitachi fait son apparition dans le peloton en 1985 en devenant le sponsor principal de l’équipe belge du fabricant de cycles Splendor. Une équipe active dans le peloton depuis la fin des années ’70 et qui avait notamment lancé la carrière de Sean Kelly. Mais c’est surtout l’arrivée de Claudy Criquielion en 1980 qui va marquer l’histoire de la formation belge. C’est en effet en 1984, lors de la dernière saison de l’équipe sous l’appellation Splendor, que Claudy Criquielion devient champion du monde à Barcelone, devant l’italien Claudio Corti et le canadien Steve Bauer. Dès son arrivée dans le monde du cyclisme, la marque Hitachi vient donc se poser sur le maillot arc-en-ciel de celui qu’on appelait désormais « Le Crique ». Une belle publicité pour cette entreprise du secteur audio-video qui comme tant d’autres à cette époque, de Panasonic à Toshiba en passant par Sanyo et PDM, n’avait pas peur d’investir dans le sport populaire par excellence.

Malgré la présence de bons coureurs belges comme Dirk De Wolf et Rudy Dhanens, l’équipe Hitachi comptait surtout sur son leader pour briller, notamment sur les classiques de printemps. Et la pression était double pour Le Crique, puisqu’il devait à lui seul porter les espoirs d’un pays qui sortait de l’époque formidable des Merckx, Van Impe et De Vlaeminck. Plutôt bon grimpeur (il termina 5ème du Tour 1986) Criquielion était à son aise dans les classiques ardennaises. Il remporta la Flèche Wallonne en 1985 et 1989 mais malgré plusieurs podiums sur Liège-Bastogne-Liège, il ne remporta jamais la Doyenne des classiques, aussi parce qu'un certain Moreno Argentin l'en empêcha à trois reprises. En revanche, en 1987, il devint le premier coureur wallon à remporter le Tour des Flandres. Il faudra attendre 2017 et la victoire de Philippe Gilbert au Ronde pour revoir un wallon s’imposer chez les voisins du Nord.

C’est en 1988 que se déroula le grand drame de la carrière du Crique. Les championnats du monde sur route sont organisés à Renaix, à quelques kilomètres seulement de Deux Acren, son village natal. Le leader de l’équipe belge n’était pas le favoris unique, puisqu’il y avait au départ des spécialistes des courses d’un jour comme Moreno Argentin, Sean Kelly ou Adrie Van der Poel et des costauds comme Laurent Fignon, Stephen Roche, Greg Lemond ou Steven Rooks. Mais le Crique est chez lui. Il connait les routes par cœur, s’est préparé à la perfection pour ce grand jour et compte bien réserver un comité d’accueil digne de ce nom à ses adversaires venus s’inviter sans autorisation à la fête du village. La journée semble parfaite, Claudy attaque dans la dernière difficulté et emmène avec lui l’alors inconnu Maurizio Fondriest. Les deux sont rejoints sous la flamme rouge par le Canadien Steve Bauer qui, en pleine confiance, lance le sprint de loin sur une arrivée en légère montée. Alors que le Canadien semble coincer et que Criquielion le remonte sur la droite, Steven Bauer pousse le Belge, et d’un coup de coude l’envoie dans les balustrades. Maurizio Fondriest profite alors de la confusion pour s’emparer de la victoire sans trop d’efforts.

Mais est-ce que les choses se sont bien déroulées de la sorte? Evidemment, la mythologie cycliste tend à simplifier les choses, tout en exagérant certains aspects qui permettent de raconter une histoire passionnante aux enfants avant d'aller au lit. L’histoire d’un héros local, aimé par tout un peuple, qui attend son heure de gloire tant méritée. L'histoire d’un héros humble et proche de gens, qui allait enfin récolter les fruits de son dur labeur devant sa famille émue aux larmes. L’histoire où un méchant intrus vient briser les rêves du champion vertueux en ayant recours aux ruses les plus perfides. Un briseur de rêves qu’il faudra extraire du site de Renaix sous escorte, sans quoi il se serait fait lyncher par la foule en colère. C’est sûr, c’est cette histoire qu’on retiendra. Surtout en Belgique…

Mais si on regarde bien les images de ce sprint, il convient de nuancer les propos. C’est vrai que Steve Bauer lance le sprint probablement de trop loin, alors qu’il venait de faire un effort en solitaire pour revenir sur le duo de tête. Il coince et change de braquet à quelques mètres de l’arrivée. Sauf qu’à l’époque, les vitesses étaient sur le cadre du vélo et non sur la poignée des freins. En lâchant son guidon, Bauer a effectivement dévié de sa trajectoire en touchant et déstabilisant Criquielion qui le remontait. Le Belge n’a pas été poussé dans les balustrades, mais a perdu l’équilibre et frôlé un policier posté le long des rambardes. C’est surtout le choc de la roue avec le bloc de béton soutenant la barrière qui a mis le Crique au tapis. Certains disent aussi que Maurizio Fondriest était idéalement placé et aurait probablement gagné le sprint de toute façon. Difficile à dire, car l’Italien était légèrement en retrait, même s’il prouvera plus tard qu’il avait une excellente pointe de vitesse.

Toujours est-il que l’image de Claudy Criquielion franchissant la ligne d’arrivé à pied avec son vélo sur l'épaule, fera le tour du monde et entrera de plein droit dans l’album des images légendaires du cyclisme. Le Crique aura du mal à digérer ce drame. Il en fera une fixation et entamera un procès contre Steve Bauer pour obtenir réparation. Un procès qu’il perdra d’ailleurs plusieurs années plus tard.

Claudy gagnera malgré tout encore des courses. Il restera fidèle à l’équipe Hitachi jusqu’à sa dissolution en 1989 avant de finir sa carrière chez Lotto. Il restera à jamais l’homme qui s’est fait voler le titre de champion de monde sur ses terres et on oublie trop souvent qu’il avait déjà remporté un maillot arc-en-ciel, au nez et à la barde d’un certain Steve Bauer…

Comments

Magnifique article et, oh combien, dramatique issue ! J'en ai encore les larmes aux yeux... Tu as très bien résumé la situation Lucho, quoique, je reste convaincu, un peu à l'image de Sagan et Cavendish, que le coude de Bauer monte suffisamment haut pour empêcher Claudy d'assurément passer. De là à lui coller un procès au cul....