Voilà, ça y est, il s’est définitivement échappé, comme on le dit communément d’un champion cycliste qui s’est éteint. J’avais envie de partager quelques mots à ce sujet avec la Fanta-communauté, parce qu’il s’agit d’une disparition qui me touche, pas seulement parce que c’est un compatriote limousin.

Depuis quelques mois on s’attendait à la mauvaise nouvelle bien sûr, on sentait la fin arriver, les nouvelles du pays n’étaient pas rassurantes - son état de santé s’était sérieusement dégradé cet été, après ce sublime Tour de France dont il avait tenu à suivre la boucle, étape après étape, malgré cette forme précaire et ce cœur fragile…

En parlant de cœur, c’est celui des Français qu’il s’était attaché à conquérir durant ses années de coureur professionnel, et qu’il avait tout fait pour conserver depuis sa retraite sportive. Et croyez-moi, cette longue et dernière course contre l’oubli fût sa plus éclatante victoire. Il est difficile d’imaginer la côte de popularité dont bénéficiait « Poupou », la sympathie unanime dont il jouissait.

En Limousin, nous l’avons tous croisé au moins une fois, tous pris de ses nouvelles une quantité de fois. L’homme était tout simplement comme nous, il n’écrasait personne de son prestige sportif, il était abordable, souriant, et savait manier l’autodérision. Il venait d’un milieu paysan et ne se privait pas de le rappeler, son premier vélo de course lui avait été offert par un marchand de cycles - ses parents métayers n’ayant pas les moyens de lui offrir. Il était « simple », et n’avait jamais cherché (mais l’aurait-il voulu, l’aurait-il pu ?) à « s’élever » vers une certaine « notabilité » dont il n’avait que faire. Bon sens paysan, radinerie non assumée mais bien connue chez nous J, il est resté fidèle à ses valeurs terriennes. Son seul souci ? Perdre l’affection des gens, ne plus être reconnu dans la rue. A ce niveau-là, pour une fois, pas d’inquiétude : le résident de Saint-Léonard-de-Noblat a largement fini vainqueur de sa course…

Lorsque j’étais gamin à la fin des 70’s, quand j’ai demandé à mon père qui était ce Poulidor (déjà retraité sportif à l’époque, dont j’avais entendu parler à la radio), il m’a expliqué la carrière du  bonhomme en me narrant notamment cette fameuse étape du Tour du 12 juillet 1964 entre Brive-la-Gaillarde et le Puy-de-Dôme, ce duel avec Jacques Anquetil, gagné mais avec insuffisamment de marge pour conquérir une tunique jaune qu’il n’aura finalement jamais portée.

 

Bref: un excellent coureur, mais jamais le meilleur

Eternel second ? Légende tenace - même mon fils me dit aujourd’hui en plaisantant que le décès de Poupou était le « deuxième » topic de discussion sur les réseaux sociaux ce 13 novembre... Il est vrai que «Pouliche » a longtemps traîné une incroyable déveine, comme au Tour 1968 - ce Tour s’offrait à lui, mais non, une moto l’a fait chuter… C’est sans doute pour ça que nous l’aimions aussi. Nous Français, glorifions ces ‘beautiful losers’ - comme cette équipe de France de football de rêve qui perd contre les Allemands en demi-finale de coupe du monde en 1982 et 1986, comme cette équipe de France de rugby qui se vautre perpétuellement en coupe du monde même si elle gifle les All-Blacks néozélandais. Nous nous identifions facilement (et complaisamment ?) aux ‘perdants magnifiques’. Un mal (?) très Français… En effet, au niveau national, même avec 189 courses gagnées, Poulidor n’aura pas eu le prestigieux palmarès d’un Anquetil (son rival puis ami), d’un Hinault ou même d’un Jalabert. Mais jamais, jamais je n’aurai entendu parler de Raymond Poulidor qu’avec respect : aucun reproche au niveau sportif (même s’il a laissé entendre qu’il avait mis la main dans le pot de confiture comme tous les autres à l’époque – mais alors pas assez?), aucun reproche au niveau de la personnalité - humilité et, encore une fois, sens de l’autodérision – et surtout, sens du labeur comme première valeur: regardez et écoutez à ce sujet ce document exceptionnel offert par l’INA, Poulidor à l’entraînement dans le Tourmalet en 1967:

Il aura gagné et gardé le cœur du peuple – et sur ce point-là, il restera l’éternel premier.

RIP, Raymond.

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