Eddy

Les assurances GAN ont participé au cyclisme professionnel à deux époques. Celle de l’équipe GAN-Mercier-Hutchinson de Raymond Poulidor dans les années ’70 et celle plus récente du début des années ’90. C’est celle-ci qui nous intéresse, notamment parce qu’elle est associée à un des exploits les plus mémorables de la décennie…

L’équipe GAN qui fait ses débuts dans le peloton en 1993 n’est pas une nouvelle formation, mais la continuation d’une structure cycliste à l’histoire séculaire. Il s’agissait en effet du nouveau nom de la formation Peugeot qui avait déjà changé de nom et couru avec le sponsor Z depuis 1987. Une structure associée aux cycles Peugeot dont la création remonte au début du siècle et qui était dirigée à l’époque par Roger Lejeay le grand rival de Cyril Guimard dans le contexte de saine opposition entre les groupes Renault et Peugeot. Dans ce contexte, Roger Lejeay avait pris sous ses ordres en 1990 l’ancien poulain de Guimard, Greg Lemond, qui avait remporté son troisième Tour de France dès sa première saison avec l’équipe Z à laquelle l’Américain fournissait d’ailleurs les vélos de la marque « LeMond ». Mais alors que la carrière du triple maillot jaune était sur la pente descendante, les assurances GAN firent leur retour dans le cyclisme professionnel en sponsorisant l’équipe de Lejay dès la saison 1993. Greg Lemond ne gagnera aucune course avec le nouveau maillot, mais l’équipe avait de bonnes fondations et comptait en son sein plusieurs coureurs de qualité issus de l’écurie Peugeot/Z comme Eric Boyer, Jean-Claude Colotti, Pascal Lance, Christophe Capelle et le vétéran Gilbert Duclos-Lassalle. Ce dernier remporte d’ailleurs pour la deuxième fois consécutive Paris-Roubaix avec le maillot Gan au terme d’un sprint au photofinish face à Franco Ballerini. Un sprint épique qui traumatisera le regretté Ballerini pendant des années et consacra définitivement Gilbert Duclos-Lassalle dans la légende de la Reine de Classiques.

 

1993 marque aussi les débuts professionnels d’un des plus grands spécialistes du contre-la-montre de la décennie: Chris Boardman. Le Britannique avait remporté la médaille d’or de la poursuite individuelle aux JO de Barcelone en 1992 en battant tous les records. Il s’imposa dès sa première course sur route, le contre-la-montre du GP Eddy Merckx. A une époque où le cyclisme était en train de changer, notamment en ce qui concerne le matériel et la préparation, Chris Boardman était à la pointe de l’innovation. Les connaissances techniques de celui qu’on appelait ‘Le Professeur’ lui permirent d’innover et de perfectionner le matériel ainsi que sa position sur le vélo, le rendant presque imbattable dans les courses contre le temps. En cinq saison sous le maillot GAN, Boardman remporta 39 victoires, dont 11 prologues (3 sur le Tour de France) et 20 contre-la-montres individuels. Il devint champion du monde en 1994 et fut le protagoniste, avec Graham Obree, d’une rivalité acharnée permettant aux deux coureurs de battre le record de l’heure à plusieurs reprises entre 1993 et 1996 en utilisant des vélos à l’aérodynamisme de plus en plus futuriste. D’ailleurs, l’UCI voulut garder le contrôle en établissant des règles limitant l’innovation techno-aérodynamique et la créativité concernant la position sur le vélo. Aujourd'hui, le record de l’heure officiel de l’UCI est celui de Victor Campenaerts avec 55.089 kilomètres. En 1996, dans un vélodrome de Manchester déchainé, Chris Boardman parcouru 56.375 kilomètres sur son vélo Lotus 110. Personne n’a fait mieux depuis.

Si vous avez une heure à tuer...

Le maillot GAN sera cependant à jamais associé à un des grands exploits de la décennie. Celui dont, on ne sait pas trop pourquoi, on se souviendra toujours: la victoire d’Eddy Seigneur sur les Champs Elysées lors du Tour 1994. Si Alexandr Vinokourov est le dernier coureur à avoir anticipé les sprinters sur les Champs en 2005, la victoire d’Eddy Seigneur est la dernière ayant primé une échappée partie dans les premiers tours du circuit parisien. Elle est rentrée dans l’imaginaire collectif comme la victoire-type du finisseur. Aujourd’hui encore, à n’importe quelle attaque dans les rues de Paris, à n’importe quelle tentative d'anticiper le sprint dans le dernier kilomètre, on a envie de dire « il nous fait une Eddy Seigneur ». Et pour cause, cette victoire était aussi inattendue que jubilatoire pour un coureur prometteur qui avait jusque là surtout récolté des places d’honneur.

Le Tour 1994 avait commencé par la victoire de Chris Boardman dans le prologue. Il s’était poursuivi par l’écrasante domination de Miguel Indurain, l’éclosion de jeunes talents comme Marco Pantani et Richard Virenque et la deuxième place surprenante du Letton chauve Piotr Ugrumov. Un Tour de France malgré tout très dur, au cours duquel beaucoup de sprinters abandonnèrent avant Paris, de Laurent Jalabert à Jean-Paul Van Poppel, en passant par Nicola Minali, Erik Zabel, Adriano Baffi et Wilfried Nelissen. Pas étonnant alors que lors de la passerelle conclusive de Paris, les attaquants se sont dit qu’ils avaient un coup à jouer. Dès le deuxième tour du circuit autour des Champs Elysées, une échappée de 5 coureurs se forme. Et non des moindres, puisqu’elle comprenait des solides rouleurs-poursuiteurs comme Franky Andreu, Bo Hamburger, Arturas Kasputis, Jorg Müller et Eddy Seigneur. L’avance des attaquants ne dépassera cependant pas la minute et le sprint massif destiné à couronner le maillot vert Abdoujaparov reste le scenario le plus probable. Mais le peloton tarde à revenir, probablement aussi parce qu’aucune équipe n’a envie de servir la victoire sur une plateau d’argent à l’Express de Tachkent. Les chances de l’échappée grandissent au fur et à mesure des tours parcourus, et à deux kilomètres de l’arrivée, à la sortie du tunnel, Franky Andreu place une attaque qui semble être la bonne. Hamburger et Kaspustis ne réussissent pas à boucher le trou et Eddy Seigneur décide alors aux 700 mètres de partir seul à la poursuite de l’Américain. L’écart semble trop important, mais l’accélération de Seigneur est constante alors que Andreu commencer à coincer. Dans la dernière ligne droite, Seigneur revient et dépose Andreu pour s’imposer en solitaire, les bras agités, fou de joie, conscient qu’il est entré dans la légende.

 

L’équipe Gan ne vivra plus des moments aussi magiques. Elle remportera des courses par-ci, par-là, lançant la carrière de jeunes coureurs comme Stuart O’Grady, Cedric Vasseur, Magnus Bäckstedt, Jens Voigt ou Sébastien Hinault. Elle changera de nom en Crédit Agricole en août 1998 et restera dans le peloton jusqu’en 2008, lorsqu’après avoir cherché en vain un nouveau sponsor, Roger Lejeay fermera la boutique d’une structure plus que centenaire.

 

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