Parmi les maillots à gagner au Fantatour 2022, il y a un maillot de l’équipe Super U de 1989. Le maillot de Laurent Fignon lors du Tour maudit de 1989, tout simplement.
Nouvelle équipe, nouveau modèle
La marque Système U et son maillot très reconnaissable font leur apparition dans le peloton lors de la saison 1986. L’histoire avait cependant commencé quelques mois avant, plus précisément pendant le Tour de France 1985, celui du doublé Hinault-Lemond de la Vie Claire de Bernard Tapie. Le directeur sportif de l’équipe Renault Elf, Cyrile Guimard, apprend que Renault se retire de toute activité sportive, du cyclisme à la Formule 1. Et ce, en raison de tensions avec les syndicats reprochant à la direction de Renault d’investir de l’argent dans le sport plutôt que dans les salaires des ouvriers. Le coup est très dur pour le légendaire directeur sportif, vainqueur de 7 tours de France avec Hinault, Van Impe et Fignon. Il recherche un repreneur sans succès et partage ses angoisses avec Laurent Fignon, le leader de l’équipe devenu ami et confident. L’histoire de la création du nouveau groupe sportif est parfaitement racontée dans leurs autobiographies respectives, « Nous étions jeunes et insouciants » pour Laurent Fignon et « Dans les secrets du Tour de France » pour Cyril Guimard. Les deux compères décident de changer le modèle des équipes cyclistes en vigueur à l’époque. Au lieu de trouver une entreprise qui créé et dirige la formation, ils fondent une structure indépendante pour vendre l’espace publicitaire sur le maillot à un investisseur qui bénéficiera de la publicité sans s’occuper des aspects administratifs et sportifs de la structure. Le concept est révolutionnaire et sera copié par d’innombrables équipes par la suite. Il semblerait que l’idée de génie soit de Laurent Fignon, mais on peut équitablement donner la paternité du nouveau concept aux deux amis. Deux amis qui seront chacun propriétaire à 50% de la structure composée de l’association sportive France-Compétition et de la régie publicitaire Maxi-Sport Promotion. Pour l’anecdote, c’est le cabinet d’avocat Leibovici-Sarkozy qui est mandaté pour régler les aspects légaux de la structure et Nicolas Sarkozy en personne occupera pendant quelque temps un poste d’administrateur de la société.
La structure en place, encore fallait-il trouver un sponsor pour financer le projet. Guimard et Fignon réussiront finalement à décrocher un contrat de trois ans avec la chaine de supermarché Système U pour 15 millions de francs par an (équivalent de 2.3 millions d’euros). La marque avait déjà mis un pied dans le peloton en 1984, en reprenant l’ancienne équipe Wolber de Jean-René Bernaudeau, mais l’expérience s’était soldée par un échec et n’avait duré qu’un an. La proposition de Fignon et Guimard collait parfaitement aux ambitions du groupe qui pouvait sans trop d’efforts coller son logo sur le maillot d’une des équipes phare du circuit. Le projet était lancé ! Laurent Fignon lui-même se chargea de dessiner le nouveau maillot qui gardait les couleurs jaune, blanc et noir de l’ancienne équipe Renault, mais en modernisait le style tout en mettant en valeur le sponsor. Ce nouveau modèle économique permit aussi de diversifier les maillots en fonction des courses. En 1986, l’équipe s’appelle Système U – Pegaso lors de la Vuelta. En 1987, c’est la marque d’enceintes audio Bose qui s’ajoute au maillot dans les courses en Espagne, alors que Histor devient deuxième sponsor en Belgique et aux Pays-Bas. Avis aux collectionneurs, ces maillots d’époque valent de l’or…
Des débuts en demi-teinte
La plupart des coureurs sous les ordres de Guimard chez Renault rejoignent la nouvelle structure, de Charly Mottet aux frères Madiot, en passant par Martial Gayant et Thierry Marie. Mais le boss sur la route reste Laurent Fignon qui après plusieurs mois d’absence revient au premier plan et remporte dès le printemps 1986 la Flèche Wallonne avec 3 minutes d’avance sur Jean-Claude Leclerq et Claudy Criquielion. Le reste de la saison fut cependant moins rose pour Fignon qui chutera pendant la Vuelta et abandonnera le Tour, malade. Le constat est amer: après sa blessure au tendon d’Achille de 1985 celui qu’on appelle « L’intello » n’arrive pas à retrouver son meilleur niveau, celui qui lui avait permis de remporter le Tour en 1983 et 1984. L’équipe remporte néanmoins des courses importantes, avec le roi des prologues Thierry Marie, Marc et Yvon Madiot, Christophe Laveinne, Alain Bondue, Martial Gayant et surtout, Charly Mottet. Ce dernier frôle la victoire aux championnats du monde ’86 et remporte le Dauphiné Libérée l’année suivante. Il partage ainsi le leadership avec Fignon au Tour de France et se mêlera à la bagarre pour la victoire entre Stephen Roche, Pedro Delgado et Jeff Bernard. Mottet portera le maillot jaune pendant 6 jours et devra le céder à Bernard au terme du contre-la-montre du Mont Ventoux de la 18ème étape. Revanchards et toujours prompt à jouer un mauvais tour aux rivaux de La Vie Claire, les hommes de Guimard feront exploser la course le jour suivant, mettant Bernard en crise, ce qui au final bénéficiera à Stephen Roche et Pedro Delgado, respectivement premier et deuxième sur le podium à Paris. Mottet devra se contenter de la quatrième place au classement général, mais entrera de facto dans la légende grâce à son rôle actif dans un des Tours les plus disputés de la décennie. Avant de quitter Guimard pour rejoindre RMO, il offrira un dernier cadeau à l’équipe à la fin de la saison 1988 en remportant le Tour de Lombardie, peut-être le succès le plus prestigieux de sa carrière.
Le retour du Professore
Laurent Fignon continue ces années-là à alterner le meilleur comme le pire, les succès et les désillusions. Au printemps 1988, il remporte Milan-Sanremo en battant Maurizo Fondriest au sprint après avoir attaqué dans le Poggio. En forme, il retourne sur Paris-Roubaix mais doit se contenter d’une troisième place au vélodrome, malgré les jambes des meilleurs jours. Fignon figure parmi les favoris au départ du Tour, mais il montre très vite des signes de fatigue incompréhensibles. Lâché par ses équipiers dans le contre-la-montre par équipe en début de tour, il découvre la présence d’un vers solitaire qui lui bouffait son énergie et abandonne une nouvelle fois la Grande Boucle. Guimard pourra se consoler avec la 5ème place au général du jeune Eric Boyer, même si ce dernier quitte l’équipe à la fin de la saison pour rejoindre la formation Z de Roger Lejay.
Malgré la stabilité offerte par la structure de l’équipe et ses sponsors, Guimard peine à garder ses meilleurs coureurs. Marc et Yvon Madiot cassent leur contrat pour rejoindre La Vie Claire et les dollars de Bernard Tapie. Charly Mottet et Eric Boyer peinent à trouver un rôle de premier plan dans une équipe dont un des patrons est aussi le leader sur la route, et vont voir ailleurs. Les jeunes talents français tardent à venir et alors que le cyclisme s’internationalise, l’équipe n’attire aucun champion étranger pour se concentrer sur les coureurs de l’Hexagone. Seule exception, l’arrivée du jeune Bjarne Riis en 1989. Mais plus qu’un gros coup du mercato hivernal, il s’agit d’une belle trouvaille de Laurent Fignon qui repère ce gros moteur lors du Tour de l’Avenir 1988 (appelé à l’époque Tour de la Communauté Européenne) et lui offre un contrat alors que le Danois était sans équipe et songeait à renoncer au vélo et abandonner sa carrière professionnelle. Il offrira une aide précieuse à Fignon lors de son exceptionnelle saison 1989. Une saison où le sponsor principal devient Super U et où Guimard casse définitivement le cordon avec son passé, en renonçant aux vélos Gitane du groupe Renault pour rouler sur les cycles de la marque britannique Raleigh. Le changement est plutôt positif, puisque Fignon fait le doublé à Milan-Sanremo avant de retourner au Giro pour la première fois depuis son expérience malheureuse de 1984. Cette année-là, Il Professore était le plus fort mais a subi les manigances des organisateurs qui voulaient faire gagner Francesco Moser. Entre l’annulation du passage du Stelvio, des pénalisations et l’hélicoptère volant trop près de Fignon pendant le contre-la-montre décisif, le parisien se sentit berné et ne le pardonnera jamais aux italiens. Apaisé par ses victoires à Sanremo, il revient au Giro et sent vite qu’il pourra y jouer la gagne contre des adversaires redoutables comme Erik Breukink, Andy Hampsten, Stephen Roche et Greg Lemond. Dans les Dolomites, Fignon attaque sous la pluie et dans le froid, mettant hors-jeu Breukink, Roche et Lemond. Il prend le maillot rose lors de la 14ème étape, l’étape reine passant par les cols mythiques du Fedaia et Pordoi. Il attaque à 60 kilomètres de l’arrivée malgré les réticences de Guimard, mais résiste et termine deuxième derrière son nouveau rival, Flavio Giupponi. Les efforts sous le mauvais temps se font cependant sentir et Fignon est au bord de la rupture les jours suivants. Cette fois, il profite de l’annulation de l’étape comprenant le Tonale et le Gavia en raison du mauvais temps et se reprend avec l’arrivée du soleil et de la chaleur. Il remporte enfin le Giro et devient le troisième, et à ce jour, dernier français à s’imposer en Italie après Anquetil et Hinault. Ce triomphe revanchard cache cependant quelques faiblesses qui auront bien plus d’importance quelques semaines plus tard: lors du Giro 1989, Laurent Fignon perdra systématiquement du temps sur ses adversaires au contre-la-montre, n’arrivant pas à retrouver le niveau qu’il avait à ses débuts dans l’exercice individuel.
8 secondes
Quelques semaines plus tard, le Tour de France s’annonce passionnant, avec Laurent Fignon, le vainqueur du Giro, et Pedro Delgado, le vainqueur de la Vuelta (qui se courait au mois de mars à l’époque) prêts à en découdre avec les outsiders comme Mottet, Rooks, Breukink, Hampsten et le revenant Greg Lemond. Delgado se met hors course tout seul en se pointant avec près de 3 minutes de retard au départ du prologue de Luxemburg. Guimard et Fignon le savent, leur adversaire principal sera Greg Lemond. Ce dernier prouve rapidement qu’il est en grande forme en remportant le contre-la-montre de la 5ème étape long de 73 kilomètres pour s’emparer du maillot jaune avec 5 secondes d’avance sur le leader des Super U. Ce sera une question de secondes entre Fignon et Lemond pendant tout le Tour. Le Français découvre dans les Pyrénnées qu’il peut mettre l’Américain en difficulté en montagne. Il attaque dans les derniers lacets de la montée de Superbagnère et s’empare du maillot jaune pour 7 secondes. Fignon reste leader jusqu’au contre-la-montre d’Orcières-Merlette, où l’Americain récupère 47 secondes et reprend le maillot jaune. Le grand mano-à-mano entre les deux champions aura lieu au cours de la 17ème étape menant le peloton à l’Alpe d’Huez. Dès les premiers virages de l’ascension, Fignon attaque. Lemond suit, Fignon en remet une, puis une autre et une troisième, mais Lemond ne lâche rien. Exténués, les deux champions se calment et se regardent. A six kilomètres de l’arrivée, Guimard se porte à la hauteur de Fignon et lui lance « Attaque, il est cuit ». Il Professore sait que son directeur sportif connait parfaitement son ancien poulain et qu’il a probablement raison. Mais il ne peut pas, il est tout aussi cuit. Deux kilomètres plus tard, il retrouve de l’énergie pour attaquer son rival et gagner 1’19. A nouveau en jaune avec 26 secondes d’avance, Fignon sait qu’il doit creuser un plus grand écart en vue du contre-la-montre prévu le dernier jour à Paris. Il attaque dans la dernière ascension du jour lors de l’étape suivante vers Villars de Lans, mais doit se farcir une vingtaine de kilomètres de plaine avec vent de face, ce qui réduira considérablement le temps engrangé. Fignon est cependant content, il possède 50 secondes d’avance sur Greg Lemond à trois jours de la fin. Il pense avoir gagné le Tour. Mais lors des dernières étapes, il est victime d’une blessure à la selle qui le rendra nerveux et inquiet pour la dernière étape décisive. Cette étape, on la connait. La souffrance de Laurent. Le guidon de triathlète à priori interdit de Lemond. Les deux secondes perdues à chaque kilomètre. Le compte à rebours de Patrick Chène en direct télévisée. Le triomphe de Lemond pour 8 secondes…
Cette défaite marquera profondément Laurent Fignon et Cyril Guimard. Sytème U se retirera à la fin de la saison ’89 et l’équipe restera en place avec Castorama comme sponsor à partir de 1990. Mais Fignon ne gagnera plus de grandes courses et les chemins de deux compères se sépareront peu après. Ces maudites 8 secondes… Inutile de résumer cette journée tragique pour Laurent Fignon, les images parlent pour elles-mêmes, comme cet extrait de l’autobiographie du regretté champion parisien :
« J’ai erré pendant de longues minutes. Je ne me souviens plus des gestes qui furent les miens. Je ne savais plus rien, ni qui j’étais, ni où j’étais. Puis le choc a commencé à prendre forme, à devenir réalité, à prendre sens dans mon cerveau. Quand je suis sorti du coma, je me dirigeais déjà vers le contrôle antidopage. Là, j’ai reconnu Thierry Marie. Sans réfléchir, il se jeta vers moi et s’effondra en pleurs. Dans ces bras accueillants, j’au chialé comme un gamin ».
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Bel article, belle saga - que
Bel article, belle saga - que de souvenirs...