Quatrième épisode de notre analyse de la saison cycliste. Après les jeunes, les sprinters, les chasseurs de classiques, voici venu le temps des hommes de grands tours. Ceux qui luttent pendant trois semaines pour décrocher le sacre le plus important d’une carrière mais qui n’obtiennent pas toujours les résultats escomptés.

Le TOP

Primoz Roglic

A défaut de remporter la tournée des quatre tremplins, le slovène a tout bonnement été hallucinant sur les routes asphaltées chères à la petite reine en 2019. C'est bien simple, Roglic n'a enlevé rien de moins que les trois tours sur lesquels il s'est aligné en début de saison, à savoir, l'UAE Tour, Tirreno-Adriatico et le Tour de Romandie. Fort de ces succès, il démarre le Giro en boulet de canon mais échoue, finalement, sur la troisième marche du podium avant de gagner autoritairement un Tour d'Espagne sur lequel il n'a laissé que des miettes à ses adversaires. Naturellement émoussé, il laisse passer sa chance aux championnats du monde avant de briller une nouvelle fois sur le Giro dell'Emilia et les Tre Valli Varesine où il s'impose à nouveau. Le cycliste slovène est en pleine bourre et à voir son entente avec le prodige Pogacar, entre autres sur la Vuelta, nul doute qu'on risque encore d'entendre parler de lui l'année prochaine avec le Tour de France en point d'orgue.

Egan Bernal

Dans une année 2019 globalement terne pour le cyclisme colombien – toutes ses valeurs sûres (Quintana, Uran, Lopez et Gaviria) sont passées à côté de leur saison – Egan Bernal est apparu comme un véritable messie, annonciateur de jours meilleurs : seulement 3 ans après avoir délaissé le VTT pour la route, il roule déjà sur l’eau et signe une saison en tout point historique, avec en amuse-bouche des victoires à Paris-Nice et au Tour de Suisse avant l’apothéose en jaune sur la Grande Boucle, dont il est le plus jeune vainqueur depuis 110 ans. Alors oui, pas de doute, Bernal a un peu bénéficié de la chance des champions… La chute de Foome au Dauphiné est quasiment déjà décisive : si le Kényan blanc avait toute la légitimité historique pour être l’unique leader d’Ineos au Tour, il n’en va pas de même pour Geraint Thomas. Vainqueur autoritaire au Tour de Suisse deux semaines avant le Tour, Bernal peut donc se profiler en co-leader d’Ineos et jouir lui aussi de la protection de l’invincible armada britannique. Difficile de dire si Bernal a un autre coup de chance avec la neutralisation de la pénultième étape, mais il n’a finalement dû défendre son maillot jaune que sur la montée à Val Thorens, avec l’aide de Thomas d’ailleurs. Mais bon, ne tirons pas sur le pianiste, surtout s’il est virtuose. On ne gagne pas à un Tour à 22 ans par hasard, et Bernal fut en tout point remarquable durant les 3 semaines de la Grande Boucle, paraissant ne jamais succomber à la pression. Pression qui sera toutefois d’une toute autre ampleur en 2020, avec une abondance de biens et d’égos qui ne sera pas facile à gérer du côté d’Ineos, où Carapaz est venu s’ajouter au trio Bernal-Froome-Thomas.  Bernal paraît en tout cas à la fois confiant dans ses capacités et décidé à consolider sa légende naissante : annoncé en 2020 sur le Giro et sur le Tour, le voilà parti à la  poursuite d’un doublé aussi mythique qu’élusif, que Marco Pantani fut le dernier à réussir en 1998.

Richard Carapaz

Seul l’avenir nous dira si la victoire de Richard Carapaz au Giro sera un exploit isolé ou le premier succès d’un nouveau crack du cyclisme mondial. Sans mettre en question la victoire méritée de l’Equatorien en Italie, elle a quand même une certaine saveur de victoire par défaut, arrivée plus à cause du marquage exagéré entre Nibali et Roglic que grâce à la domination sans équivoque de Carapaz. On aurait aimé le voir à l’œuvre à la Vuelta pour qu’il confirme son nouveau statut, mais un problème physique l’a contraint à renoncer avant le départ. Difficile de dire quelle place il aura au sein de sa nouvelle formation Ineos, où il partira assez loin dans la hiérarchie de l’armada britannique, mais pourrait à nouveau profiter d’un rôle d’outsider.

Emanuel Buchmann

L’Allemand de l’équipe Bora-Hansgrohe a été une des belles surprises de l’année. Il n’était pas un inconnu, bien au contraire, mais Buchmann a franchi un cap cette saison et livrant des performances solides tout au long de l’année. Victorieux dès le début février dans les courses de Majorque, il enchaine ensuite les places d’honneur dans les tours d’une semaine (4ème à l’UAE Tour, 3ème au Pays Basque, 7ème au Tour de Romandie, 3ème au Dauphinée) avant de lutter pour le podium au Tour de France, où il fait partie des meilleurs en montagne mais doit se contenter de la quatrième place pour quelques secondes. Son top-10 au Tour de Lombardie en fin de saison prouve qu’il est un coureur complet, capable de briller sur plusieurs terrains. Si certaines étoiles en provenance de Colombie nous ont habitués à gagner dès leur plus jeune âge, Buchmann privilégie une méthode plus classique, avec une progression lente mais constante. Le plus dur sera maintenant de faire mieux…

Steven Kruijswijk

Statistiquement parlant, 2019 n’a pas été la meilleure saison de Steven Kruijswijk. Pas de victoires, seulement quelques top-10 sur les tours d’une semaine et une chute à la première étape de la Vuelta qui a plus ou moins mis un terme à sa saison. Mais après de nombreuses tentatives, le Néerlandais a enfin réussi à monter sur un podium d’un grand tour, et pas des moindres. Sa troisième place au Tour récompense un coureur qui n’a pas toujours été vernis par les Dieux de la petite reine et qui, à l’âge de 32 ans, pourra sereinement entamer son déclin. Avec l’arrivée de Tom Dumoulin chez Jumbo-Visma et le nouveau statut de Roglic, Kruijswijk devra visiblement se contenter d’un rôle de lieutenant de luxe la saison prochaine, mais attention, car un Néerlandais sans pression peut être redoutable…

Alejandro Valverde

Certains avaient pensé que la victoire de Valverde aux Mondiaux d’Innsbruck avait rassasié El Imbatido et que la malédiction du maillot arc-en-ciel allait faire le nécessaire pour accompagner le vétéran vers une fin de carrière sans histoire. Mais c’était mal connaître le Murcien qui doit sérieusement commencer à intéresser les scientifiques qui s’occupent de longévité. C’est vrai que Valverde n’a pas gagné une grande classique cette année et sa victoire à la Route d’Occitanie n’apporte pas grand-chose à son exceptionnel palmarès. Mais Valverde a encore une fois été compétitif de janvier à octobre, en enchainant les top-5 (31 au total!) et surtout en s’offrant un top-10 au Tour de France suivi d’une deuxième place à la Vuelta. Ses places d’honneur à Milan-Turin et au Tour de Lomabrdie sont presque anecdotiques pour un coureur qui, à 39 ans, a encore une fois réussi à terminer l’année dans les cinq premiers du classement UCI.

Thibaut Pinot

Normalement, il en faudrait un peu plus que des victoires au Tour de l’Ain et du Haut Var et un succès au Tourmalet pour considérer Tibopino parmi  les grands bonhommes de la saison. Mais lors du Tour de France, avec les bordures, les attaques, la victoire dans la montagne sacrée, le drame et les larmes, Pinot a réussi à offrir ce qui manque cruellement au cyclisme moderne: de l’émotion! Dans un peloton toujours plus cadenassé par les consignes tactiques, par les oreillettes, les trains et les compteurs de watts, Thibaut Pinot a rappelé au monde entier que pour entrer dans la légende de ce sport, il faut pédaler avec les jambes certes, mais aussi avec le cœur. Ironie de l’histoire, c’est quelques semaines avant la disparition de l’éternel second Raymond Poulidor que la France a trouvé son nouveau beautiful looser…

 

Le FLOP

Vincenzo Nibali

Une fois n’est pas coutume, nous sommes un peu sévères envers un coureur qui mérite énormément de respect. Car si, à 34 ans, le Requin de Messine pourrait être satisfait d’une saison où il est monté pour la onzième fois sur un podium d’un grand tour et a remporté une victoire d’étape de prestige à Val Thorens, on ne peut s’empêcher de considérer sa saison comme celle des occasions ratées. L’occasion ratée de devenir le coureur le plus âgé à remporter le maillot rose, car Nibali avait largement la victoire dans les jambes mais a commis l’erreur de contrôler uniquement Primoz Roglic lors de la première partie du Giro, laissant Richard Carapaz prendre une avance qui ne sera plus récupérée. Il a également ratée l’occasion de remporter le maillot à pois au Tour de France, puisqu’avec un peu de volonté et vu la concurrence largement abordable,  il aurait pu presque facilement remporter ce classement peut-être secondaire, mais malgré tout inédit pour lui. En 2020, il tente une nouvelle aventure chez Trek – Segafredo, avec les JO de Pékin et les Championnats du Monde comme objectifs principaux. On espère pourtant encore le voir compétitif sur un tour de trois semaines, même si on doute qu’il aura encore beaucoup d’occasions de lutter pour un succès final.

Romain Bardet

Commencer sa saison en trombe avec le Tour Cycliste International du Haut-Var était plutôt une bonne chose pour le grimpeur de Brioude. Sa cinquième place sur Paris-Nice était même un signal positif en vue de la grande Messe de juillet. Brillant sur les Strade Bianche en 2018, le français avait, cette fois, fait l'impasse afin d'être au top sur un Tour qui était censé faire la part belle aux coureurs de son genre. Il s'aligne, malgré tout, de manière relativement anecdotique sur les ardennaises avant d'achever le Critérium du Dauphiné dans un anonymat qu'on ne lui connaissait guère. Les prémices d'un naufrage annoncé diront certains tant ses performances sur le Tour de France furent insipides et indignes de son talent, malgré un maillot à pois conquit sans grand panache. Quinzième du général et une seule petite deuxième place sur l'étape de Valloire, il n'en fallait pas plus pour que Romain mette prématurément fin à une saison à oublier au plus vite.

Geraint Thomas

Le Gallois, comme d'autres avant lui, a-t-il laissé trop d'énergie dans les salons feutrés et autres réceptions en tout genre après son sacre de juillet 2018 ? Nul ne le saura jamais mais, quoiqu'il en soit, il a fallu attendre le Tour de Romandie et une troisième place au général pour voir Geraint Thomas sortir de sa torpeur hivernale. En ballotage par rapport à ses objectifs de la saison, la chute de son meilleur ennemi lui ouvrait pourtant, une nouvelle fois, une voie royale pour remporter son second Tour de France. Mais ça, c'était sans compter sur un autre de ses équipiers, Egan Bernal, à qui il n'a pu ravir le leadership en juillet et à qui il a dû laisser la victoire finale à Paris. Certes, il n'a pas à rougir de sa deuxième place mais cela semble bien maigre pour un coureur dont la saison s'est quasiment achevé sur les Champs-Elysées. Et avec le retour de Froome, l'avènement du colombien et l'arrivée de Carapaz, on se demande si la chance de Thomas n'est, peut-être, pas définitivement passée.

Tom Dumoulin

Si ce n’est pour sa blessure au genou dont on ne connait pas encore les conséquences à long terme, on pourrait presque dire que le Papillon de Maastricht a pris une année sabbatique. Difficile de juger vu le faible nombre de jours de course, mais après son double podium Giro-Tour en 2018, les espoirs d’un nouvel exploit ont été mises entre parenthèse pour une durée indéterminée. Comme les années précédentes, Dumoulin avait commencé la saison en sourdine, avec des participations à l’UAE Tour et à Tirreno-Adriatico sans éclats. Au Giro, on a été déçu de sa prestation dans le prologue où il fut battu par Roglic, Yates, Nibali et Lopez, mais alors qu’on attendait une montée en puissance du Néerlandais, son Giro et sa saison se sont brisés lors d’une chute dans l’étape pluvieuse menant à Terracina. Blessé au genou, Dumoulin a abandonné le Giro, est revenu au Dauphiné en vue d’une participation au Tour mais a déclaré forfait avant la fin de la course en raison de la douleur persistante. Par la même occasion, il mettre fin à sa saison et à son contrat avec la Team Sunweb pour rejoindre la nouvelle armada du peloton, la Jumbo-Visma en 2020. Sera-t-il de retour au plus haut niveau ? C’est une des interrogations majeures de cette trêve hivernale.  

Chris Froome

Aucun résultat probant pour le quadruple vainqueur de la Grande Boucle en 2019 et une malchance tenace qui l'a tenu éloigné du peloton une bonne partie de la saison. Par contre, il est désormais certain que Chris Froome réfléchira à deux fois avant de lâcher son guidon pour se moucher dans une descente. Lancé à plus de cinquante kilomètres/heure dans une reconnaissance sur le Dauphiné, une rafale de vent projette le britannique contre un mur et voit ses rêves de s'aligner, et conquérir une cinquième couronne sur le Tour de France, s'envoler. Dur, dur pour le vainqueur sortant d'un Giro qu'il avait décidé de zapper pour mieux se concentre sur son principal objectif. Qui plus est, après la victoire de Thomas en 2018 et l'avènement de Bernal cette année, Froome n'est plus vraiment l'unique leader d'une formation qui s'est permis le luxe de remporter sept des huit dernières éditions. Si l'on rajoute à tout cela ses problèmes récurrents d'asthme et de profondes blessures conséquentes à sa chute, il va falloir un sacré panache à l'anglais en 2020 pour rentrer dans le cercle très fermé des quintuples vainqueurs du Tour de l'Hexagone.

Nairo Quintana

On ne se lasse décidément pas d’écrire la nécrologie cycliste du champion colombien, dont on sait très bien qu’il est au bout du rouleau depuis déjà plusieurs années. Mais bon, voilà, le Colombien s’accroche avec un immense courage aux vestiges de sa grandeur, et puis on a l’impression que c’est seulement cette année, avec les victoires de Carapaz, Bernal et Roglic sur les grands tours (et l’éclosion de Pogacar et de Higuita), que la grande relève générationnelle s’est enclenchée. Quintana a donc encore pu grignoter quelques miettes en passant, sous forme d’une victoire d’étape au Tour et une autre à la Vuelta, mais sans jamais donner l’impression de pouvoir lutter de façon crédible ne fût-ce que pour le podium. Parlant de podium, son dernier remonte d’ailleurs au Giro 2017. Depuis 3 ans, le Colombien vivote donc sur son acquis, pas vraiment non plus aidé par les errances tactiques de la Movistar. Son passage la saison prochaine chez Arkea Samsic est symptomatique de l’intérêt absolument nul qu’il génère dans les écuries de pointe du peloton, et s’apparente à une mise à la retraite précoce, à seulement 29 ans. RIP, Nairo.       

The Yates'Brothers

En 2018, de par leurs flamboyants résultats et leur incroyable constance, les twins avaient défrayé la chronique et s'étaient érigés en futurs grands protagonistes sur les Tours de trois semaines. En 2019, on est loin de ce qu'on était légitimement en droit d'attendre d'eux et la roue semble avoir clairement tourné dans le mauvais sens pour les deux jeunes britanniques. Aux antipodes de son niveau extra-terrestre de l'année précédente, après s'être complètement troué sur le Giro, Simon a quelque peu fait illusion en remportant deux étapes au Tour de France. Point, à la ligne… Un Tour sur lequel il s'alignait d'ailleurs pour aider son frère dont c'était l'objectif phare. Adam a, lui, démarré sa saison avec quelques résultats significatifs à Tirreno ou encore en Californie, mais surtout, en terminant deuxième d'un disputé Dauphiné. De bonne augure pour la suite mais la source s'est pourtant bien vite tarie. Totalement à la masse sur le Tour, ses performances sur La Vuelta furent du même acabit… L'avenir leur appartient toujours mais il faudra relever les manches en 2020 pour ne pas sombrer dans les méandres d'un oubli qu'on ne leur souhaite pas.

Miguel Angel Lopez

Saison pourrie pour MAL. Pourrie en soi, avec zéro victoire d’étape sur le Giro et la Vuelta. Et puis pourrie aussi parce que l’étiquette de jeune golden boy du cyclisme colombien est irrémédiablement passée sur la tunique d’Egan Bernal, qui est 3 ans plus jeune que lui. En fait, Lopez n’a même pas eu le temps de confirmer tout le bien qu’on pense de lui que Bernal a déjà passé la surmultipliée et s’est installé dans la catégorie des vainqueurs de grands tours. Cette inévitable comparaison risque de faire mal mentalement à Lopez, et peut-être de même de compromettre sa progression. Difficile de trouver une explication à cette saison blanche, qui n’avait pourtant pas mal commencé, avec une victoire au Tour de Colombie, puis une autre en mars au Tour de Catalogne. Mais dès que les choses sont devenues sérieuses, MAL n’a tout simplement jamais répondu présent : 12e à Paris-Nice, il vivote au Giro, dont il finit 7e sans même décrocher un seul podium d’étape, et puis c’est rebelote à la Vuelta, dont il finit 5e sans avoir joué le moindre rôle. Sa difficulté à dynamiter sérieusement ne fût-ce que les étapes de montagne est évidemment inquiétante, et n’augure rien de bon pour le futur, même si, rappelons-le, il n’est toujours âgé que de 25 ans.    

Mikel Landa

Il y a des coureurs qui ont l’art de se trouver systématiquement à la mauvaise place au mauvais moment… et Mikel Landa fait clairement partie de cette catégorie. Euskaltel, Astana, Sky, Movistar… le Basque a cherché une place de leader dans toutes les équipes dans lesquelles il a couru, mais a finalement toujours été contraint de travailler pour les autres, alors qu’il se sentait plus fort. Et lorsqu’il a enfin pu prendre le départ du Giro avec le rôle de capitaine unique, il a trouvé un Richard Carapaz sur sa route pour lui rappeler que son meilleur rôle est celui de fidèle lieutenant. Plus tard, au Tour de France, alors que Quintana et Valverde se la jouait plutôt perso et que toute la tactique des Movistar était un bordel sans nom, Landa n’a eu droit à aucun soutien pour faire mieux qu’une sixième place finale. Encore une fois, il a décidé de faire ses valises pour chercher une place de leader ailleurs. Il a analysé toutes les formations, les statistiques et les risque de se trouver aux cotés d’une étoile montante qui pourrait lui faire de l’ombre et a finalement trouvé que chez Bahrein Merida, il devrait pour une fois être tranquille. A moins que Wout Poels ou Pello Bilbao…