Casagrande

Un maillot multicolore, un sponsor provincial souhaitant conquérir un monde qui se globalise, des coureurs dont on ne se souvient plus trop à part ceux au « passé sulfureux », bref une équipe italienne de la fin des années ’90. Voici l’histoire de l’équipe Vini Caldirola.

Certains se souviennent peut-être d'un produit commercialisé dans le cadre de la Coupe du Monde de football Italia ’90:  une bouteille de vin en forme de coupe du monde FIFA. Une boisson plutôt bas de gamme mais avec une bouteille spéciale, un peu kitsch il faut le dire, qui lui apportait sa valeur toute relative. Un vin de l’entreprise viticole Vini Caldirola. Une entreprise familiale lombarde qui avait pris le chemin de la production de masse dans les années ’80 afin de satisfaire les besoins de la grande distribution en plein essor. Et comme d’autres entrepreneurs de la région, à commencer par le pionnier Ambrogio Molteni ou le patron de la Mapei Giorgio Squinzi, Nando Caldirola est passionné de vélo et ne rate pas l’occasion d’entrer dans le monde du cyclisme en sponsorisant l’équipe de Roberto Amadio présente dans le peloton depuis 1989 sous les noms de Jolly Componibili, jusqu’en 1994, et de AKI, entre 1995 et 1997. En 1998, l’équipe Vini Caldirola - Longoni Sport n’est cependant qu’une des multiples formations italiennes de deuxième catégorie avec un Giorgio Furlan en fin de carrière comme seul atout. Il en faudra plus pour faire connaître la marque et donner envie aux allemands, néerlandais ou russes d’acheter de la piquette en tetra brik.

Le patron ouvre alors son portefeuille et les choses changent dès l’année suivante avec l’arrivée de jeunes prometteurs comme Francesco Casagrande, Roman Vainstens ou Serhey Honchar, ainsi que de champions expérimentés comme Gianluca Bortolami et Mauro Gianetti. L’équipe devient compétitive. Les résultats commencent à s’enchainer.

Francesco Casagrande, avait débuté sa carrière chez Saeco et avait passé une saison pourrie chez Cofidis en 1998, entre tests anti-dopage positifs, suspension préventive, incertitudes liées à la lenteur de la justice sportive et licenciement final en bonne et due forme. Lorsqu’il débarque dans sa nouvelle équipe en janvier 1999, il purge une suspension de 5 mois et ne reprendra les courses qu’en juin. Ca tombe bien, l’invitation de l’équipe au Tour de France est annulée en dernière minute en raison d’un taux d’hématocrite trop élevé détecté chez Serhey Honchar. Et oui, on est à la fin des années ’90 et le cyclisme vit une période un peu compliquée… Casagrande se concentre alors sur la deuxième partie de saison et engrange des résultats exceptionnels: victoire au Tour de Suisse, victoire à San Sebastiàn et au Trofeo Matteotti. Entre août et septembre, il monte sur le podium de toutes les semi-classiques italiennes auxquelles il participe : 2ème au GP Città di Camaiore, 3ème aux Tre Valli Varesine, 3ème à la Coppa Agostoni, 2ème au Giro del Veneto, 3ème au GP Industria e Artigianato, 2ème au Giro del Lazio. Casagrande devient un nom qui pèse dans le peloton. Mais sa forme exceptionnelle ne lui permet pas de faire mieux qu’une quatrième place aux championnats du monde de Vérone, derrière Oscar Freire, Markus Zberg et Jean-Cyril Robin. Le grimpeur italien commence donc la saison 2000 en pleine confiance, ce qui lui permet de remporter la Flèche Wallonne et de faire figure de favori pour le Giro. Il honore son statut en prenant le maillot rose lors du 9ème jour de course et le garde jusqu’au contre-la-montre de l’avant-dernière étape, où il cède sa place de leader à Stefano Garzelli qui fut cette année-là aidé par un équipier de luxe : Marco Pantani. Après une longue série de places d’honneur dans les courses de fin de saison, dont un nouveau top-10 aux championnats du monde et une deuxième place au Tour de Lombardie, Casagrande termine l’année à la première place du classement UCI et décide de rejoindre l’équipe Fassa Bortolo pour tenter en vain de remporter un grand tour. Il retournera chez Vini Caldirola en 2004 pour une dernière saison décevante avec, pour changer, des podiums dans les semi-classiques italiennes comme seuls résultats satisfaisants.

L’autre coureur qui a sorti la formation Vini Caldirola de l’anonymat est Roman Vainstens. Le Letton arrive dans l’équipe en 1999 après un an d’apprentissage dans la Kros – Selle Italia de Gianni Savio. Son profil de sprinter-puncheur lui permet de remporter plusieurs courses, dont des étapes à Tirreno-Adriatico et au Giro, ainsi que la classique Paris-Bruxelles. La carrière de Vainstens passe dans une autre dimension la saison suivante, lorsqu’entre février et mai il obtient 23 top-10 en 32 courses, dont une cinquième place à l’Omloop Het Volk, une quatrième place à Kuurne-Bruxelles-Kuurne, une neuvième place à Sanremo, un podium sur le Tour des Flandres et une quatrième place à l’Amstel. Le bon plan du fantaclassics 2000, c’était Roman Vainstens ! Après un Tour de France de haut niveau, avec huit top-10 et une troisième place au classement du maillot vert, il continue d’étonner en prenant la troisième place de la Clasica San Sebastian et en remportant plusieurs courses à la fin de l’été. Sa victoire lors des championnats du monde de Plouay est donc moins surprenante que cela pouvait paraître à l’époque. Mais ce succès était historique, puisque Roman Vainstens est tout simplement le premier coureur du bloc de l’Est à endosser le maillot arc-en-ciel. Cette année du millénaire devait visiblement rester dans les annales, car, ironie de l’histoire, le dauphin de Vainstens à Plouay était un autre coureur de l’Est, le désormais oublié polonais Zbigniev Spruch…

Le Letton endossera le maillot de champion du monde avec le sponsor Vini Caldirola pendant deux courses, du pain béni pour celui qui voulait vendre du vin dans les nouveaux marchés d’Europe orientale. Mais Vainstens ayant d’autres ambitions, il profitera de son moment magique pour signer avec la Domo Farm Frites de Patrick Lefevere. Sa carrière ne décollera cependant jamais, malgré quelques victoires et des places d’honneur prestigieuses. Il prendra sa retraite en 2004 à l’âge de 31 ans et reste, à ce jour, un des grands ovnis du cyclisme du début du millénaire.

Quant à la formation Vini Caldirola, il faut s’accrocher pour suivre son évolution dans les années qui ont suivi sa période de gloire. Roberto Amadio ayant quitté le groupe, l’équipe fusionne avec l’Amica Chips au début de la saison 2001 pour déboucher sur la Tacconi Sport – Vini Caldirola. Cette expérience ne durera qu’une saison mais sera couronnée par la plus belle victoire, celle de Gianluca Bortolami au Tour des Flandres 2001, au terme d’un sprint au photo-finish face à Erik Dekker et Denis Zanette.

Après une année en stand-by, Vini Caldirola redevient sponsor principal de la formation et s’associe à Mauro Gianetti et au sponsor Saunier Duval. Le mariage ne dure pas longtemps et dès 2004, les deux groupes se séparent pour créer la Saunier Duval d’un côté et la Vini Caldirola – Nobili Rubinetterie de l’autre. L’histoire de la Saunier Duval mériterait un chapitre à part, mais se résume par le fait qu’il s’agit de la seule formation ayant une pire réputation en matière de dopage que l’US Postal de Lance Armstrong… Nando Caldirola aura donc choisi le bon camp, en rappelant Roberto Amadio et Francesco Casagrande pour construire une nouvelle structure de première division avec des coureurs comme Stefano Garzelli ou Pavel Tonkov. Une structure qui englobera l’équipe Alessio Bianchi dès la saison 2005 pour prendre le nom de Liquigas et lancer dans les années suivantes, deux des plus grands coureurs de la décennie 2010 -2020: Peter Sagan et Vincenzo Nibali.

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