Livre

Guillaume Martin

Genre : essai philosophique  

« Le peloton est composé d’êtres solitaires qui ne peuvent faire autrement que vivre ensemble ».  

Nous l’avions repéré il y a quelques années grâce à ses passionnantes chroniques dans les colonnes du Monde, narrant le Tour de France vu de l’intérieur : Guillaume Martin possède une jolie plume. Après « Socrate à Vélo », ouvrage fantaisiste mettant en scène (et en selle) de grands philosophes, notre grimpeur change de braquet et d’humeur en signant « La société du peloton », essai philosophique sur le rapport de l’individu au groupe. Si ce thème n’est pas forcément des plus originaux, le fait de l’aborder par le prisme du cyclisme professionnel constitue une rafraîchissante approche.  

Le leader du team Cofidis ausculte le tiraillement de son sport entre gloire individuelle et dépendance au collectif, admettant sans la dénoncer la nature profondément égoïste de l’individu (sa soif de victoires) – vérité dérangeante s’il en est -, puis la confrontant avec une autre tendance naturelle de l’homme, celle de la nécessité de s’associer avec les autres (coéquipiers, peloton, groupe d’échappés) pour s’accomplir (franchir la ligne d’arrivée en premier, par exemple). Partant du microcosme cycliste, il établit un parallèle avec nos comportements au sein de nos démocraties occidentales face aux situations de crises que nous traversons, insistant lourdement sur l’exemple de l’urgence climatique (chacun pourrait faire un effort, mais on espère que les autres le fassent autant ou plus que nous, voire avant nous – comme au milieu d’une échappée : faut-il contribuer à l’effort, ou attendre des autres qu’ils le fassent pour en tirer profit individuellement ?).  

L’analogie proposée entre peloton et société civile, entre équipe cycliste et entreprise capitaliste, est assez casse-gueule : Guillaume Martin enfonce parfois des portes ouvertes, prend de temps en temps de faciles raccourcis et démontre (à l’insu de son plein gré, probablement) qu’il est difficile de pédaler chaussé de gros sabots. Cependant, pas de sortie de route à déplorer : l’ouvrage reste fort plaisant, entre quelques anecdotes de course et une appréciable absence de langue de bois. Le propos se veut sérieux, l’auteur n’hésite pas à égratigner son propre environnement quotidien (et notamment certains us et coutumes du peloton, « superpuissance qui pour exister doit écraser les particularités des membres qui la composent »), tout en dénonçant l’hypocrisie du monde sportif professionnel qui met en avant les valeurs de groupe tout en imposant à l’individu de triompher.  

A travers cet essai critique sur les comportements humains, notre « vélosophe » promeut un « égoïsme éthique » permettant à l’individu de s’épanouir dans un milieu où prime l’intérêt collectif, en particulier à travers l’intéressant concept de « resolidarisation » (que nous ne ‘spoilerons’ pas dans cette chronique). On aimerait connaître la réaction de la direction sportive de Cofidis ainsi que des co-équipiers de Guillaume Martin à la lecture de ce livre… Quoi qu’il en soit, ce bel effort solitaire et littéraire est à saluer - ne serait-ce que pour les savoureux passages dans lesquels l’auteur explique sa relation à son sport - « En meurtrissant ma carcasse, je l’expérimente, je prends conscience qu’elle existe, qu’elle est même la seule chose d’importance (…) Cette maltraitance que je m’impose à moi-même est une forme d’acquiescement à la vie, un refus de l’anesthésie générale que propose un certain type de société ». Verdict ? Ce bouquin est une belle échappée, sortez du peloton et partagez-la.  

Ouvrage paru aux Editions Grasset le 10 novembre 2021, 192 pages (non, ce n’est pas un pavé – tout le monde sait que Guillaume Martin ne visera jamais la victoire à Roubaix), 235 grammes, 14,0 cm x 20,6 cm x 1,7 cm (vraisemblablement aux normes UCI, donc), 17,90 € hors prime de sprint intermédiaire.  

 

Pour qui ?  

Pour tous ! Cet essai se lit facilement, les concepts sont clairement développés, Guillaume Martin fait preuve d’une grande pédagogie, citant aussi bien Machiavel que Woody Allen – nul besoin d’être calé en philo pour piger l’intégralité du propos… Par ailleurs, il n’est pas non plus nécessaire de connaître l’univers du peloton pour comprendre les enjeux exposés – au contraire, il s’agit sans doute même d’un bon bouquin d’initiation pour les non-connaisseurs de la chose cycliste.  

 

Pourquoi ?  

Pour la démonstration éclatante qu’un coureur cycliste professionnel peut développer non seulement un nombre impressionnant de watts, mais aussi des raisonnements intellectuellement pertinents. Et parce que lorsqu’on lit : « les discours politiquement corrects chantant les louanges du collectif sonnent faux à mes oreilles : au plaisir de la victoire par procuration je préfèrerai toujours celui solitaire consistant à lever les bras, pour soi », on est content d’avoir sélectionné Guillaume Martin dans sa team Fantacup, on s’attend à ce qu’il aille gratter un max de points et on lui souhaite de faire mieux que la 8ème place au général du Tour 2021.

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